Trois principes à ne jamais perdre de vue quand on bascule son cours à distance
Nous avons tous connu ce passage brutal à l’enseignement à distance au printemps 2020, quand il a fallu en urgence transformer tous nos cours donnés en modalité présentielle en cours à distance. On a improvisé, on a bricolé, on a parfois innové, on a eu du mal mais on y est arrivé.
Même si l’Université de Genève a choisi à l’automne un « retour à la normal avec les masques », ce qui n’a guère poussé l’enseignement à distance, j’encourage les enseignants à tester plus en avant cette possibilité : elle est une protection antivirale indéniable, mais pas que.
Au printemps, nous avons été parachutés tout nus dans la jungle du «e-learning», il ne s’agit pas d’y retourner dans les mêmes conditions, mêmes un peu aguerris par l’expérience. Le temps était à l’urgence, il est aujourd’hui à la préparation. Munis de nos cartes, crayons, livres, machettes et autres boussoles, nous pouvons explorer cette jungle avec d’avantage de sérénité, pour y découvrir son étonnante richesse. Et pour cela, je vous propose trois principes, faciles à comprendre, mais faciles à … ne pas suivre. Je les écris donc pour vous lecteurs, mais aussi pour moi, à présent enseignant à distance.
Principe n° 1 : La modalité du « cours filmé en direct » est un pis-aller.
Nous l’avons beaucoup utilisée dans l’urgence, mais si on peut préparer en avance, ce n’est pas le meilleur choix. Il y plusieurs raisons à cela. D’une part, votre cours filmé sera toujours moins intéressant quand il est suivi à distance. L’interaction, même minime, avec votre auditoire est ce qui lui donne cette énergie et cette « présence », justement. D’autre part, comme la plupart des cours donnés à l’université sont très peu interactifs, autant vous pré-enregistrer pour ces sessions peu interactives, et les diffuser sous forme de vidéos. Les étudiants apprécient beaucoup ce format, qui leur permet d’absorber le contenu à leur rythme (consulter le cours à sa guise, faire une pause, accélérer, etc.). De manière générale, on a pu constater dans le domaine des technologies éducatives que la transposition « mot à mot » d’une activité en présence vers un format numérique n’est jamais une bonne solution. C’est comme regarder du théâtre filmé, ou une mauvaise adaptation cinématographique d’un livre, qui déçoit les personnes qui ont lu le livre.
Mais si je donne mon cours en vidéo, je fais quoi pendant les heures de cours ? C’est ici qu’intervient notre deuxième principe, cher à tout ingénieur techno-pédagogique qui se respecte…
Principe n° 2 : Basculer son cours à distance exige une re-conception globale du scénario pédagogique.
Encore une fois, dans l’urgence, ce n’était pas du tout possible. Avec un peu plus de préparation et de temps, c’est possible, mais jamais évident. L’exemple de la capsule vidéo ci-dessus rappelle celui de la « classe inversée » (cours à distance, exercices en classe), qui, comme son nom l’indique, chamboule l’organisation du cours. Mais ce n’est qu’un exemple. Il va falloir réfléchir à ce qui peut se faire au mieux en mode différé, dans lequel l’étudiant peut travailler non seulement à son rythme mais aussi en collaboration, ou en mode direct, qui autorise des interactions rapides entre étudiants et enseignants. Les technologies sont très riches, et ne se limitent pas à Zoom : il faudra les explorer, en tirer le meilleur parti, selon sa discipline, ses goûts, et les diverses contraintes du contexte d’enseignement.
Cette re-conception est difficile, notamment car nous avons tous notre « inertie », qui nous amène grosso-modo à reconduire chaque année nos pratiques, quand elles fonctionnent. Et les contraintes curriculaires n’aident pas : votre cours s’insère dans un cursus global qui aura du mal à prendre en compte le passage d’un de ses modules en mode partiellement ou entièrement à distance. Ainsi faudra-t-il conserver les mêmes créneaux de cours, c’est-à-dire de direct.
Tous ces efforts valent-il la peine ? Au final, ne vaut-il pas attendre des jours meilleurs pour enfin pouvoir reprendre le présentiel dans de bonnes conditions ? Je répondrai par le troisième principe qui suit, tourné résolument vers l’avenir et l’innovation.
Principe n° 3 : On peut, on doit faire mieux, à distance qu’en classe.
Voilà un principe qui va peut-être choquer. Je l’espère d’ailleurs, une petit dose de conflit cognitif ne fera que mieux passer l’idée. Nous savons que le système universitaire, et ses emblématiques cours en amphi, tout à fait adaptés au XIXème siècle ne prennent pas en compte les connaissances acquises au XXème siècle en psychologie de l’apprentissage, ni les technologies inventées ces quarante dernières années et encore moins l’explosion de l’usage du numérique dans la décennie 2010 chez les enseignants et étudiants. En d’autres termes, avec le cours classique, sommes-nous vraiment dans une situation d’apprentissage optimale ? La critique est facile… l’art de l’enseignant sera selon moi d’utiliser les créneaux en direct (ex « en classe ») pour des activités où il y a une réelle plus-value d’une interaction rapide entre les acteurs (enseignant, assistant, apprenants). Tout le contraire donc d’un cours en amphi ! Tout ce qui peut être fait sans interaction (lecture de vidéo, d’articles de contenu, de consignes) doit être relégué au différé (« à la maison »), tandis que le direct doit retrouver une spontanéité, une interactivité, une spatialité, une intensité socio-émotionnelle aussi. Des exemples… Zoom possède une fonctionnalité pour automatiquement créer des groupes de quatre dans une classe de centaines d’étudiants : celles ou ceux qui ont déjà essayé de faire des travaux de groupe en amphi savent comment ce type d’activité est difficile à mener. Un autre outil moins connu, Gather.town, permet au contraire de reconstruire une spatialité dans les échanges, ce qui autorise une circulation entre personnes et entre groupes souvent impossible en classe, où nous sommes trop « collé à nos chaises » (à voir ensuite comment exploiter cela pédagogiquement). Enfin, si vous souhaitez expliquer un concept en direct, préférez une forme où vous vous appuyez sur une activité qui précède (en différé ou en direct), plutôt qu’un discours tout fait qui aurait pu être mis en vidéo : cela donnera une spontanéité au discours, mais aussi le raccrochera au vécu des apprenants, et le rendra adapté à la modalité à distance.
Voilà ici condensés quelques principes que les experts en technologies éducatives connaissent bien, en théorie. Vous pourrez lire à foison sur cette thématique, mais l’essentiel est avant tout d’agir, de se lancer, de découvrir de nouveaux territoires, en pratique finalement encore peu explorés.
Nicolas Szilas, 19.10.2020
PS: écrit alors que les cours en présentiel étaient encore la norme à l’Université malgré la crise sanitaire, cet article est déjà en décalage par rapport aux nouvelles consignes officielles. Puisse-t-il néanmoins vous inspirer…
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