MOOCs et droit d’auteur : entre sinuosité et créativité

Dans une série d’articles consacrés aux « coulisses de la science qui se fabrique » publiés en 2017, le journal Le Temps titrait notamment : « Quand les éditeurs confisquent la science ». Le quotidien généraliste (re)mettait ainsi en lumière une difficulté majeure à laquelle les universités – et plus particulièrement les bibliothèques universitaires – se heurtent de longue date : l’accès à l’information scientifique à des coûts supportables pour les institutions.

La perte d’un droit sur son propre travail

Sans entrer ici dans les détails d’une problématique déjà très documentée et qui, de surcroît, ne constitue pas le sujet principal de ce billet, mentionnons tout de même que la préservation des droits des chercheurs sur leur propre production scientifique constitue l’un des chevaux de bataille du consortium international SPARC (Scholarly Publishing and Academic Resources Coalitions). Dans la plupart des cas en effet, lorsqu’un chercheur publie les résultats de ses travaux dans une revue scientifique, le modèle économique et juridique dominant implique qu’il cède la propriété intellectuelle de ses travaux à la revue qui accepte de les publier. Ainsi, non seulement les institutions paient pour que leurs chercheurs puissent accéder à la version publiée de leurs propres travaux, mais ceux-ci ne sont ensuite pas libres de les exploiter comme ils le souhaitent (partage, diffusion, modification, etc.) puisqu’ils n’en sont plus pleinement propriétaires. D’autres modèles, liés au mouvement Open Access, permettent toutefois d’échapper à cette règle.

L’exception pédagogique : un « bouclier invisible »

Cette restriction ne pose pas de difficultés immédiates dans les activités d’enseignement que mènent également de nombreux chercheurs. En effet, ce que l’on appelle « l’exception pédagogique » autorise les institutions de formation (universités, écoles, etc.), moyennant le paiement d’une redevance, de faire usage d’œuvres protégées par le droit d’auteur dans le strict cadre institutionnel. En Suisse, cette exception est régie par la loi fédérale sur le droit d’auteur (art. 19, al. 1, let. b LDA) et permet aux enseignants d’utiliser un ensemble de ressources non libres de droits de manière relativement large (voir ici). L’une des restrictions limite toutefois leur utilisation à un usage local, c’est-à-dire géographiquement situé, comme le spécifie le site du Centre de Compétence pour le droit numérique (CCdigitallw) :

« Les exceptions prévues à l’art. 19 LDA, par exemple l’exception en vue d’un usage didactique, ne trouvent pas application en dehors du territoire suisse. L’utilisation du contenu protégé par l’enseignant à l’étranger n’est pas couverte par le droit suisse, mais par le droit étranger applicable. Dès lors, il faut être prudent, dans la mesure où les conditions pour l’utilisation du contenu prévues par le droit étranger peuvent s’avérer plus sévères. »

Les MOOCs, des dispositifs de formation sans exception pédagogique

En revanche, dans le cadre de la production de MOOCs ou de toute formation en ligne ouverte à des apprenants qui ne seraient pas affiliés officiellement à l’institution responsable de sa diffusion, la liberté en matière d’utilisation de ressources documentaires est fortement restreinte et engendre plusieurs difficultés.

La première est liée au choix des ressources. Dans une situation d’enseignement « classique » nous l’avons évoqué, un enseignant peut librement mettre à disposition de ses étudiants, grâce à l’exception pédagogique, des articles et des extraits d’ouvrages publiés, projeter un film dans sa salle de cours pour ses étudiants ou déposer l’extrait d’une séquence vidéo disponible sur Internet sur son espace virtuel de cours (Moodle par exemple).

Dans le cadre d’un MOOC, l’enseignant ne bénéficie pas de l’exception pédagogique. Non seulement parce que – et c’est ce qui constitue l’un des fondements des MOOCs – son cours n’est pas restreint à une communauté limitée et contrôlée, mais à l’ensemble du monde, mais aussi parce que – pour certaines plateformes d’hébergement des MOOCs en tout cas – la certification payante introduit une dimension commerciale incompatible avec l’exception pédagogique.

La deuxième difficulté concerne les illustrations fréquemment utilisées dans les supports de présentations de cours (diaporamas Power Point par exemple). Ces illustrations (tableaux et schémas scientifiques, photographies, reproductions d’œuvre d’art, etc.) ne peuvent être utilisées aussi librement dans le cadre d’un MOOC que dans une situation d’enseignement présentiel classique pour les raisons déjà évoquées précédemment.

Dans le contexte de la production d’un MOOC, l’équipe de conception (enseignants, conseillers technopédagogiques, etc.) se voit donc contrainte de sélectionner des contenus et des ressources d’apprentissage libres de droits ou de s’enquérir des conditions d’utilisation d’œuvres protégées par le droit d’auteur auprès de leurs ayant droit et de s’acquitter des éventuels frais pouvant s’appliquer.

Quelques pistes suivies par la Cellule MOOC

La Cellule MOOC de l’Université de Genève accompagne la conception des MOOCs de l’institution genevoise depuis 2013. Avec une trentaine de MOOCs diffusés à ce jour sur la plateforme Coursera, l’Université de Genève est l’une des institutions qui produit le plus grand nombre de MOOCs en Suisse. Sur le plan de la diversité des thématiques proposées, elle se situe même en tête de l’offre nationale.

La question des droits d’auteur dans ce contexte s’avère délicate. La fiabilité des informations disponibles n’est pas toujours vérifiable et la complexité juridique liée à ces différentes questions est le plus souvent opaque pour les non-spécialistes. Afin d’aider les équipes enseignantes à y voir plus clair, la Cellule MOOC a rédigé, avec l’aide du service juridique de l’UNIGE, quelques recommandations en matière d’utilisation de ressources documentaires dans le cadre d’un MOOC. Ces recommandations attirent l’attention des enseignants sur la nécessité de s’assurer que les ressources qu’ils envisagent d’utiliser dans le cadre de leur MOOC sont libres de droits (c’est le cas par exemple des actes et procès-verbaux officiels, des œuvres tombées dans le domaine public, etc.) ou que la licence qui régit leur utilisation (par exemple licences Creative Commons) autorise l’usage qu’ils souhaitent en faire.

En dehors de ces différents cas de figure, les équipes enseignantes doivent obtenir l’autorisation des ayants droit avant d’utiliser ces ressources. C’est là où la situation se complique, car les démarches ne sont pas toujours aisées et aboutissent souvent à une résolution coûteuse (le droit de réutilisation d’une figure publiée dans un article peut se monter à plusieurs centaines de dollars, tandis que celui d’un article entier peut atteindre parfois plusieurs milliers de dollars…). L’entreprise est d’autant plus délicate que les demandes ne peuvent généralement pas être adressées directement aux éditeurs de revues, mais doivent transiter par des sociétés de gestion (de type Copyright Clearance). Les montants demandés varient selon les éditeurs et même selon les titres de revues éditées. Il est donc difficile de savoir à l’avance quel pourrait être le coût d’utilisation d’une ressource donnée sans effectuer l’ensemble de la démarche.

Une autre difficulté concerne l’estimation du nombre d’apprenants concernés par la demande. Par définition, un MOOC s’adresse à un large public, mais il est généralement impossible d’en estimer préalablement le nombre. La dimension commerciale liée à la certification payante sur certaines plateformes de MOOC rend la possibilité d’obtenir le droit d’utiliser une ressource à moindres frais plus difficile encore.

La découverte des différentes contraintes juridiques propres à l’élaboration d’un MOOC permet souvent de remettre en lumière l’étendue de la liberté d’action offerte aux enseignants dans le cadre de leur activité régulière, mais souligne également la difficulté que représente la nécessité de s’en passer. Heureusement, il existe des chemins de traverse légaux qui permettent d’adoucir ces écueils et de contourner, parfois, ces différents obstacles.

L’un d’entre eux est offert par les archives ouvertes institutionnelles. Nées dans la continuité des initiatives liées à la science ouverte (Open Science), les archives institutionnelles répertorient et permettent l’accès, lorsque cela est juridiquement possible, à la production scientifique, qu’elle soit locale à échelle institutionnelle comme l’archive ouverte de l’UNIGE), ou nationale comme le portail HAL en France, dans le respect des contraintes liées à l’auto-archivage. Les réseaux sociaux académiques comme Research Gate ou Academia ne sont pas considérés comme des archives institutionnelles et sont donc à envisager avec prudence pour ce qui est de la réutilisation des documents qui y sont déposés. Une étude réalisée par Jamali (2017) et relayée dans ce billet a d’ailleurs montré que 51% des documents accessibles sur Research Gate enfreignent les lois sur le droit d’auteur, le plus souvent par méconnaissance des règles de l’auto-archivage. Une coalition d’éditeurs scientifiques a d’ailleurs récemment croisé le fer avec Research Gate pour tenter de régulariser cette situation (voir ici).

En plus de respecter, en principe, les règles liées à l’auto-archivage imposées par les éditeurs, les archives ouvertes offrent un accès stable et pérenne aux ressources déposées, ainsi qu’une transparence dans la gestion des données personnelles des chercheurs et de la propriété intellectuelle, ce qui n’est pas toujours le cas des réseaux sociaux académiques (voir ici).

Une ressource disponible en libre accès, c’est-à-dire à l’ensemble des internautes et pas seulement à une communauté académique locale comme cela est parfois le cas, peut donc être librement considérée comme une ressource utilisable dans le cadre d’un MOOC. Pour s’en assurer, la Cellule MOOC recommande à ses équipes de tester préalablement l’accès à la ressource depuis un ordinateur non connecté au réseau de l’UNIGE. Il convient toutefois de retenir la contrainte suivante : s’il est possible de pointer vers la ressource hébergée sur l’archive ouverte, il n’est pas autorisé d’insérer directement la ressource dans le MOOC pour les différentes raisons évoquées précédemment.

De la même manière, il est toujours possible de pointer vers une ressource qui se trouve sur le Web, y compris sur YouTube, mais cette option présente le risque que cette ressource, dont l’accès est potentiellement instable, disparaisse de façon inopinée pour toutes sortes de raisons (difficulté technique, fermeture du compte, infraction au droit d’auteur, etc.). C’est pourquoi la Cellule MOOC déconseille de pointer vers ce type de document dans le cadre d’un MOOC, surtout s’il s’agit de ressources importantes dans le déroulement du cours (lecture ou visionnement nécessaire en vue d’une évaluation formative ou certificative par exemple, complément d’information indispensable à la bonne compréhension d’une notion, etc.).

Une autre difficulté fréquemment rencontrée dans le processus d’élaboration d’un MOOC est celle de la modification de schémas et de figures en vue de leur libre réutilisation. Là encore, les informations disponibles ne permettent pas toujours d’y voir clair ; certaines sources encourageant cette pratique, d’autres la déconseillant. S’il semble établi que l’élaboration de figures, de schémas ou de tableaux à partir de données librement disponibles (selon les principes de l’Open Research Data) ne pose pas de problème, pour autant que la source des données soit mentionnée, il apparaît clairement que modifier un schéma ou une figure, même de façon suffisamment singulière, peut s’avérer problématique sans le consentement explicite de l’ayant droit (lequel, nous l’avons vu, n’est plus nécessairement l’auteur initial). Il en va de ce que le droit d’auteur considère comme l’intégrité de l’œuvre. La notion d’œuvre dérivée pourrait être considérée dans la mesure où un apport original serait apporté à l’œuvre initiale, mais, même dans ce cas de figure, le consentement de l’ayant droit (moyennant rémunération selon les cas) serait requis.

Un chemin sinueux mais néanmoins fertile

On le voit, en dehors d’un contexte d’enseignement traditionnel et d’un balisage juridique aux contours relativement clairs, les questions liées à l’utilisation, dans le cadre des MOOCs, de ressources documentaires non libres de droits s’avèrent particulièrement complexes à aborder. Ces dispositifs de formation en ligne ouverts posent de nouvelles questions qui demandent à être traitées avec beaucoup d’attention et de prudence. La zone juridique grise dans laquelle ils se situent ne permet pas à leurs concepteurs (enseignants, ingénieurs et conseillers technopédagogiques, etc.) d’être aussi libres qu’ils ne le sont dans le cadre des dispositifs de formation habituels. L’ensemble des limites relevées dans ce billet présente parfois l’avantage d’amener les équipes de conception à trouver d’autres solutions pour enrichir leur MOOC, que ce soit dans l’identification de ressources inédites – libres de droit – ou dans l’élaboration de matériel pédagogique ad hoc. Le travail additionnel que cela représente est important, mais encourage à une articulation étroite entre objectifs, contenus et activités d’apprentissage envisagés dans les MOOCs, répondant ainsi à la nécessité de l’alignement pédagogique (constructive alignment) conceptualisé par John Biggs à partir des années 1990 et qui constitue toujours l’un des fondements importants de la pédagogie universitaire.