Retour sur la conférence  » Le e-Learning en formation : de nouveaux défis pour de nouvelles opportunités »

Le laboratoire RIFT (Recherche, Intervention, Formation, Travail) de la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève, organise des conférences publiques, dont le but est de proposer à la communauté universitaire et non-universitaire des communications sur les thèmes en lien avec leur mission de recherche et d’intervention.

Intéressé par la révolution numérique dans la formation, le laboratoire RIFT a décidé d’organiser quatre conférences publiques autour des thèmes des nouvelles technologies, du numérique et des humanités numériques, et du e-learning afin d’avancer une réflexion collective autour de ces sujets.

Mireille Bétrancourt, professeure à l’unité de Tecfa, a introduit le cycle de conférence «nouvelles technologies ». Elle a de l’intérêt pour tout ce qui concerne le numérique dans les situations d’enseignement et de formation, avec un focus sur les processus sous-jacents que ces situations suscitent. L’objectif principal de sa présentation a été de discuter dans le contexte du numérique ces processus d’apprentissage en formation d’adultes.

La conférence a débuté par une introduction du concept «e-learning » en se basant sur la définition de la commission européenne (CE 2001) : « l’ e-learning est l’utilisation des nouvelles technologies multimédia et de l’Internet pour améliorer la qualité de l’apprentissage en facilitant l’accès à des ressources et à des services, ainsi que les échanges et la collaboration à distance ».

D’après Mireille Bétrancourt le mot e-learning cache une complexité, proche parfois du mystère, qu’il est nécessaire d’expliquer. L’intérêt de la définition de la CE réside dans sa clarté et sa forme concise. Elle est aussi attrayante dans la mesure où l’objectif premier est la collaboration à distance, mais pas seulement ; elle met aussi l’accent sur la qualité de l’apprentissage.

Pour mieux connaître l’avis des participant∙e∙s sur l’ e-learning et leurs expériences en terme de formation à distance, un sondage composé de quatre questions sur les caractéristiques de dispositifs de formation technologiques a été proposé en début de conférence sur Votamatic (outil interactif accessible depuis les Smartphones). Le sondage a mis en évidence que les fonctionnalités de l’ e-learning les plus populaires sont : la gestion de contenu, les ressources multimédias interactives, l’échange et le partage, la flexibilité temporelle et géographique.

Suite à cette mise en réflexion collaborative autour de caractéristiques et fonctionnalités du e-learning, la présentation s’est focalisée sur la question de savoir si ces dispositifs numériques peuvent changer ou non nos façons d’apprendre ?

Selon Mireille Bétrancourt, le grand public pense que c’est un changement majeur, que les technologies ont changé notre façon de voir et d’interagir avec le monde. Ce n’est pas seulement un changement qui affecte le type de contenus, mais plutôt un changement sur les processus d’apprentissage. Néanmoins, elle explique que les technologies d’enseignement et d’apprentissage ne sont pas récentes. Déjà en 1969, les autorités britanniques avaient compris l’intérêt des médias comme la radio et la télévision en fondant l’Open University (« université ouverte »). Ainsi, même si les technologies basées sur le numérique sont assez récentes, pour tout ce qui est ressources et diffusion à distance, on continue à se référer à des technologies anciennes.

Aujourd’hui, on a aussi changé de paradigme de formation avec une mobilité croissante, de ressources en ligne, et de besoins en formations ponctuelles à tout moment. Cela rejoint la philosophie de la formation tout au long de la vie qui nous accompagne dans nos métiers, dans lesquels nous devons entretenir une veille technologique.

Ainsi, la production de contenu et de données a considérablement augmenté, de telle sorte qu’actuellement, l’accès aux ressources n’est plus un problème. Le vrai problème est d’accéder à des ressources réputées fiables et pertinentes pour la formation, ainsi que de savoir utiliser ces ressources de manière adaptée.

Que nous offrent les technologies que les supports ne nous offraient  pas  auparavant ?

Selon Mireille Bétrancourt, les technologies nous offrent :

1)    La capacité de stocker, d’archiver, de garder et de récupérer des données (data management);
2)    Le traitement automatique des données;
3)    Le multimédia (son, vidéo);
4)    La collaboration et le partage de ressources.

Avec l’arrivée d’Internet dans les années 1990, les technologies ont fondamentalement modifié notre vie quotidienne. Elles sont omniprésentes dans toutes nos activités et ne cessent de modifier nos modes de vie et de communication. Et, selon Mireille Bétrancourt, c’est là que se trouve le changement de paradigme de la facilité d’accès à la connaissance. Les technologies ont également modifié notre façon de construire cette connaissance. Elle prend comme exemple Wikipedia qui, contrairement à ce que pensent la majorité des gens, est une source de connaissances fiable, vu que n’importe qui ne peut écrire n’importe quoi sur cette plateforme. Wikipedia est une référence pour la construction participative du savoir, adoptée par un nombre croissant d’utilisateurs et utilisatrices (voir conférence sur Wikipedia).

D’autres technologies ont aussi changé les activités humaines, le rapport au monde (exemple Google Maps), la façon de le percevoir, d’agir sur lui et de communiquer. Tous ces changements ont, par la force des choses, un impact sur notre façon d’apprendre et de nous former.

Qu’est-ce que apprendre en formation d’adultes?

Selon la conférencière, plusieurs types de savoirs sont à développer quand on se forme au niveau professionnel :

  • savoirs factuels (lire, comprendre et mémoriser les informations);
  • maîtriser des gestes professionnels;
  • donner et recevoir un feedback;
  • comprendre une situation dans sa complexité;
  • appartenir à une communauté de pratique pour échanger des informations

L’articulation des savoirs factuels et des savoirs acquis par la pratique se construit par l’interaction au sein de la communauté de pratique.

Trois  formats types sont à distinguer dans un processus d’apprentissage :

1) Les contenus interactifs:

Ils correspondent à l’individualisation. C’est le premier atout perçu des technologies de formation qui permettent à l’apprenant d’adapter son apprentissage, de suivre sa progression, de recevoir un feedback immédiat mais aussi d’avoir un suivi de ses progrès. Par exemple, TapTouche, une méthode d’apprentissage individualisée pour l’apprentissage de la dactylographie sur le Web ; ESLvideo.com pour apprendre les langues et améliorer ses compétences d’écoute.

Pour bien illustrer les différents modes d’apprentissages Mireille Bétrancourt a utilisé des allégations, en d’autres termes des idées préconçues sur les technologies, qui selon elle ne sont pas aberrantes, mais à nuancer :

Allégation 1 : On apprend mieux et plus rapidement avec une formation en e-learning qu’en face à face.

Suivant une étude réalisée par David A. Cook, Anthony J. Levinson et Sarah Garside (2010 ), la méta-analyse entre l’ « Internet based learning » et les formations face à face, a montré qu’il n’y a pas de différence systématique en terme de gain d’apprentissage dans un cas ou dans un autre. Par contre, les résultats de l’étude ont montré que l’ajout de feedback et de multimédia améliore l’apprentissage et la satisfaction.

Allégation 2 : L’interactivité améliore l’apprentissage.

Dans le cadre de la thèse de Cyril Rebetez une étude a porté  sur des animations multimédias. Les auteurs se sont intéressés à la fois à l’ergonomie de ces animations, mais aussi à la situation d’apprentissage. Les résultats ont montré qu’on est plus dans un processus actif et engagé, ceci même sur des animations multimédia basiques, quand on interagit à deux. Par conséquent, selon l’intervenante, il est certes nécessaire de prévoir des outils interactifs dans une formation en e-learning, mais la réussite de l’activité dépendra de la façon dont l’étudiant∙e va l’appréhender par la suite.

Selon Mireille Bétrancourt, on se retrouve dans des situations d’apprentissage similaires avec les MOOCs (Massive Open Online Courses), le MIT Open CourseWare, ou plus généralement l’usage de Open Education Ressources (OER).

Dans le cadre de ces formations à distance, plusieurs défis sont à relever pour réussir la formation :
•    l’engagement sur la durée;
•    la certification, pas forcément gratuite, et trop souvent non reconnue à sa juste valeur par le milieu professionnel;
•    la collaboration, qui nécessite des stratégies spécifiques (cf. Allégation 4 ci-dessous);
•    l’évaluation par les pairs, qui demande du savoir-faire.

2) Simulation et jeux sérieux:

Les jeux sérieux sont des simulations qui intègrent des éléments narratifs, ce qui rend l’apprentissage beaucoup plus engageant. Mireille Bétrancourt a montré plusieurs types de jeux, comme un entretien d’embauche, une situation de catastrophes (Code « red fire »), ou le tbisim réalisé par Nicolas Szilas de Tecfa et Jean Dumas de l’UPCD de l’Université de Genève.

Ce deuxième format type utilisé dans les processus d’apprentissage en formation d’adulte lui a permis de parler de la troisième idée préconçue:

Allégation 3 : On est plus motivé avec des jeux sérieux et donc on apprend mieux.

Selon une étude réalisée par Sébastien Allain (2013), « la perception d’authenticité et d’efficacité dépendent du design pédagogique »,  quand on décide d’utiliser des simulations dans un processus d’apprentissage, l’important est de faire réfléchir la personne à ce qu’elle a fait (et donc d’aller plus loin que le seul aspect ludique de l’outil).

3) Communauté d’apprentissage:

D’après la conférencière, les communautés d’apprentissage dans les formations professionnelles sont basées sur l’idée qu’on doit interagir avec les collègues, d’où l’émergence de communautés de pratique. Si on prend l’exemple des LMS (Learning Management System) qui contiennent plusieurs outils de collaboration, notamment les forums, les wikis pour écrire à plusieurs de manière collaborative, les outils d’ « awareness » (des outils qui permettent de prendre conscience de la situation dans laquelle l’on se trouve), alors les progressions individuelles et collectives deviennent possibles.

Allégation 4 : Les adultes en formation apprécient les activités collaboratives

C’est valorisant de pouvoir collaborer efficacement, mais cela reste compliqué quand les apprenant∙e∙s sont à distance. En effet, selon une étude réalisée par Alison King (2007), la collaboration ne se produit pas spontanément, mais nécessite des conditions préalables.
Mireille Bétrancourt a aussi expliqué que l’efficacité du e-learning dépend de la qualité du dispositif numérique. Il faut de l’interactivité certes, mais savoir l’utiliser à bon escient est essentiel. De plus, des contraintes de design sont à prendre en compte. En outre, il faut également porter attention aux ressources nécessaires pour les activités proposées, à la scénarisation, aux stratégies d’apprentissages, aux supports, etc.

Conclusions

Selon le constat général de Mireille Bétrancourt, on a tendance à beaucoup parler d’e-learning pour la formation à distance, mais pas assez pour enrichir les formations en face à face. Pourtant, le mode hybride (blended learning) est très pertinent en formation d’adulte. Selon Mireille Bétrancourt, on est de facto toujours en mode hybride dans la mesure où l’enseignant donne toujours des « devoirs » à faire à la maison. Cela permet de préparer des formations en face à face, en donnant accès aux prérequis ou remises à niveau à distance (en utilisant des modules spécifiques, comme il est possible d’en trouver par exemple dans les MOOCs). Le SPOC (Small Private Online Course) est un bon exemple de formations à distance, car basé sur des concepts solides, tels que : le tutorat, la scénarisation et les échanges privés, qui génèrent la confiance nécessaire à une bonne collaboration.

Mireille Bétrancourt a terminé sa conférence par des recommandations pour la formation à distance :

  1. Bien définir les besoins de formation (formats types) ;
  2. Confier la conception de la formation à un expert de l’ingénierie techno-pédagogique ;
  3. Assurer les conditions minimales de formation : temps dédié, personnes ressources formées, reconnaissance des acquis.

Pour plus d’information, vous pouvez consulter la présentation Prezi.