Retour sur le Sommet Mondial de la Société de l’Information 2015
L’ origine du Sommet remonte à la résolution 73 de la Conférence de plénipotentiaires de l’Union internationale des télécommunications (UIT) à Minneapolis en 1998.
Le 21 décembre 2001, l’assemblée générale des Nations Unies a pris la décision (A/RES/56/183) d’approuver l’organisation du Sommet Mondial sur la Société de l’information ( SMSI) sous l’appui du Secrétaire général de l’ONU, M. Koffi Annan, et de l’Union internationale des télécommunications (IUT) pour piloter les préparatifs en partenariat avec les Organisations des Nations Unies intéressées.
Le conseil de l’UIT a décidé, en 2001, la tenue du premier forum en deux étapes. La première étape a eu lieu du 10 au 12 décembre 2003 à Genève, et la deuxième étape du 16 au 18 novembre 2005 à Tunis. D’autres forums ont été organisés, en l’occurrence le forum sur la gouvernance de l’internet à Athènes en 2006.
Lors du premier forum, les représentant∙e∙s des peuples du monde réunis à Genève ont ratifié la déclaration de principes, pour proclamer leur volonté et leur détermination communes “d’édifier une société de l’information, une société, dans laquelle chacun aurait la possibilité de créer, d’obtenir et de partager l’information et le savoir et dans laquelle les individus, les communautés et les peuples pourront ainsi mettre en œuvre toutes leurs potentialités en favorisant leur développement durable et en améliorant leur qualité de vie, conformément aux buts et aux principes de la charte des Nations, ainsi qu’en respectant pleinement et en mettant en œuvre la Déclaration universelle des droits de l’homme “.
Dans le cadre de ce compte rendu, nous allons d’abord présenter le forum mondial sur la société de l’information 2015. Puis nous parlerons du thème principal : « Innover ensemble: Les TIC au service du développement durable » en développant les trois principales sessions à savoir : l’ enjeu de la gestion des déchets électriques et électroniques (lié à la dimension genre), l’accessibilité pour toutes et tous, et enfin, la dimension éthique à l’ ère du numérique. Enfin, nous discuterons de la mise en œuvre des résultats du SMSI 2015.
Forum Mondial sur la Société de l’ Information (SMSI) 2015
Le forum SMSI 2015 s’est déroulé à Genève du 25 au 29 mai 2015. Il est l’une des plus grandes réunions annuelles, à l’échelle mondiale, rassemblant des actrices et acteurs de la société de l’information sur le thème global : ”Innover ensemble: Les TIC au service du développement durable”.
Ce choix n’est pas innocent, car 2015 est considérée par la commission internationale comme une année charnière pour adopter un programme afin d’atteindre les objectifs du développement durable à travers les TIC.
Le SMSI 2015 a attiré plus 1800 participant∙e∙s de plus de 140 pays. Plus de 70 ministres et député∙e∙s, plusieurs ambassadeurs-drices, chef∙fe∙s d’entreprises et les dirigeant∙e∙s de la société civile. La participation à distance a aussi augmenté de manière significative. Le forum fut organisé conjointement par l’UIT, l’UNESCO, la CNUCED et le PNUD, avec la collaboration de l’OMPI, de la FAO, de l’ONU Femmes, de l’UNICEF , de l’OIT, et d’autres agences des Nations Unies.
L’objectif principal du forum était, d’une part, de rassembler les parties prenantes du SMSI afin de faire dans un premier temps le bilan des réalisations faites au cours des 10 années qui ont suivi le sommet mondial de l’ONU sur la société de l’information. Il s’agissait d’avoir une discussion de qualité pour trouver ensemble des solutions aux brûlantes questions relatives à la société de l’information. Le forum offrait dans un second temps la possibilité de « réseauter », d’échanger des pratiques et des expériences, d’élaborer des documents de références pertinents, mais aussi de proposer une plate-forme pour aborder les défis, les tendances, les opportunités et les perspectives du SMSI au delà de 2015.
Innover ensemble: les TIC au service du développement durable
Plus de 150 sessions ont eu lieu lors de ce forum. Ce dernier s’est appuyé sur deux pistes de réflexion: une piste de haut niveau avec des cérémonies d’ouverture, des déclarations politiques générales, des tables rondes ministérielles. Et une piste Forum composée de séries de panels de haut niveau, de réunions de coordination des grandes orientations, des ateliers par pays, des thématiques et des échanges des connaissances. Durant ce sommet, plusieurs sujets ont été discutés à savoir: l’innovation, l’autonomisation des femmes, la cyber-sécurité, la gestion des déchets électriques et électroniques, l’accessibilité pour tous, la cyber-criminalité, la fracture numérique, le faible coût des licences et des logiciels pour les masses, l’autonomisation des personnes handicapées, l’innovation, le forum social, le copyright (droit d’auteur), la protection des droits humains, le respect de la sphère privée, etc.
Cette liste, quoique importante, n’est pas exhaustive, c’est pourquoi nous avons choisi de nous limiter à trois principales thématiques que nous développerons dans les paragraphes qui suivent à savoir: la dimension genre et la gestion des déchets électroniques, l’accessibilité pour toutes et tous, et pour finir la dimension éthique dans la société de l’information.
Dimensions sexospécifiques et la gestion des déchets électroniques
La plupart des études ont démontré que les groupes de population les plus vulnérables et les plus exposés aux facteurs de risques environnementaux et de santé, sont les enfants et les femmes.
Cette session avait pour objectif de :
- Fournir un espace d’échange pour entendre les femmes et les hommes touchés par la gestion des déchets électroniques;
- Sensibiliser les participant∙e∙s à la nécessité d’une bonne gestion des déchets électroniques.
- Spécifier les défis auxquels les pays en voie de développement sont confrontés.
- Présenter les bonnes pratiques, les normes et les politiques visant à améliorer la capacité des femmes et des hommes à traiter les déchets électroniques
Les intervenant∙e∙s ont à tour de rôle présenté les enjeux, les solutions, les avantages pour mieux gérer la problématique des déchets électroniques. Ils/elles ont aussi présenté des actions concrètes pour mieux donner une autonomie aux femmes. Au même titre que les femmes, les hommes doivent être informés et formés pour acquérir des compétences sur l’élimination et la gestion des déchets électroniques, car c’est une problématique qui nous concerne toutes et tous.
Tout équipement ayant perdu son usage est potentiellement un déchet électrique ou électronique. Ce peut être un téléphone portable, un ordinateur, un téléviseur, un magnétoscope, une chaîne stéréo, un télécopieur etc. D’autres objets sont aussi considérés comme des déchets à risque, en l’occurrence, les appareils électroménagers tels que congélateur, piles,… ainsi que les médicaments. Certains de ces équipements contiennent des substances dangereuses pour l’être humain et l’environnement. Parmi celles-ci, on peut citer le cuivre, le lithium, le plomb, le cadmium, le palladium, l’arsenic, le mercure, etc. Une fois enfouies dans le sol, ces substances peuvent contaminer ce dernier, mais également l’air et l’eau. Pour les femmes, ces déchets toxiques sont les principales causes d’avortement, de malformations chez les enfants, de problèmes de peau, de troubles respiratoires et gastriques.
Pourtant, la Déclaration du Millénaire des Nations Unies (ODM), signée en septembre 2000, engageait les dirigeants du monde entier à combattre la pauvreté, la maladie, la dégradation de l’environnement, la discrimination à l’encontre des femmes. Parmi les huit objectifs proposés par les ODM, figurait la promotion de l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Toutefois, malgré des efforts consentis, beaucoup reste à faire.
Les panélistes ont pris conscience qu’autonomiser les femmes dans les pays en voie de développement est d’une importance capitale pour la bonne gestion des déchets électriques et électroniques.
Les solutions préconisées lors de cette session sont, d’une part, de comprendre les besoins pour une meilleure gestion des déchets électroniques, de mettre en œuvre des programmes de gestion des déchets électroniques pour mieux sensibiliser et informer les femmes, respecter les accords internationaux signés lors de la convention de Bâle sur la préservation de l’environnement.
Faire de l’autonomie une réalité: accessibilité pour toutes et tous
Cette séance plénière de haut niveau avait pour objectif d’avoir un dialogue ouvert et constructif sur l’accès à l’information et au savoir pour toutes et tous, par l’utilisation des Technologies de l’information et de la communication (TIC). La particularité de cette session portait sur l’utilisation restreinte des technologies par des personnes atteintes de handicap physique.
Selon le directeur adjoint Général de l’UNESCO Gatachew Engida: “Aujourd’hui, plus d’un milliard de personnes sont atteintes d’une forme de handicap. Elles souffrent d’exclusion économique et sociale, de discrimination et leurs opportunités d’éducation et de carrière sont moindres. Les TIC offrent d’immenses possibilités de les aider à surmonter ces obstacles, de leur permettre de vivre dignement et de participer pleinement à toutes les sphères de l’activité économique et sociale”.
Le but de cette session plénière était donc de sensibiliser les participant∙e∙s aux questions du handicap d’une manière générale, mais aussi d’attirer l’attention sur un besoin urgent d’intégrer les TIC pour les personnes handicapées dans l’agenda de développement du SMSI après 2015.
Un point important a été souligné par le directeur de la Division des sociétés du savoir, Mr. Indrajit Banerjee explicitant que “pour construire des sociétés du savoir inclusives, l’accès à l’information et au savoir étaient vitaux afin que Tous puissent y participer, en tant que membres productifs et créatifs de leur communauté, en tenant particulièrement compte des besoins des personnes handicapées.”
Il est important de relever que la plupart des personnes intervenantes avaient participé à la rédaction du document final de la conférence : “De l’exclusion à l’autonomisation: Les TIC au service des personnes handicapées” tenue à New Delhi en novembre 2014. Le SMSI 2015 était donc l’occasion pour elles de partager les expériences dans les domaines de l’inclusion numérique, de tirer profit des résultats des consultations qui se sont tenues à New Dehli, de découvrir des résultats des recherches, d’explorer les possibilités d’inclure des recommandations concrètes dans le cadre du SMSI sur l’usage des TIC par les personnes handicapées afin qu’elles accèdent à l’information et au savoir.
Parmi les intervenant∙e∙s figuraient:
Daniela Rubio, consultante sur l’accessibilité et directrice de Macneticos en Espagne. Pour elle, interagir avec les autres est important, et qu’il est d’une importance capitale pour les personnes atteintes de handicap de découvrir le potentiel des technologies. Malgré le fait qu’elle soit atteinte de handicap physique, elle a conçu un logiciel pour prouver que les technologies peuvent s’adapter à toutes sortes de handicaps. Avec la commande vocale intégrée, cet outil peut permettre aux personnes atteintes de handicap physique de communiquer, de rédiger un texte, et d’augmenter leur autonomie. Elle est bien placée pour apporter un témoignage sur l’utilité des technologies et de leur capacité à faciliter la vie de cette population.
Aniyamuzaala James Rwampigi, formateur et membre du forum national pour les personnes handicapées en Ouganda. Pour sa part, avant de parler accessibilité, il faut d’abord parler disponibilité. Les malentendant∙e∙s ont besoin notamment de prothèses auditives de bonne qualité. Les fabricants doivent faire l’effort de considérer les besoins des handicapé∙e∙s comme une priorité et proposer des coûts abordables pour les personnes atteintes de handicap physique dans les pays en développement.
Michele J. Woods, directrice de la division des droits d’auteurs de l’ OMPI, estime pour sa part que tous les travaux couverts par le droit d’auteurs doivent être accessibles à toutes et à tous. Pour elle, il est important de ratifier le traité de Marrakech, de travailler avec les bibliothèques , les universités pour rendre l’accessibilité possible pour toutes et tous et surmonter les barrières linguistiques.
Tous les intervenant∙e∙s ont reconnu que l’innovation est fondée sur les besoins et qu’il faut mettre les TIC à la disposition de tout le monde, et que l’accès aux TIC joue un rôle toujours plus important dans la société actuelle. Il serait donc important d’utiliser le potentiel des technologies, savoir quels sont les besoins pour mieux les satisfaire, et permettre aux personnes handicapées d’exercer leurs droits dans la même mesure que les personnes non handicapées en leur facilitant l’accès aux mêmes prestations destinées à tous les citoyen∙ne∙s.
Les participant∙e∙s ont alors reconnu que l’accessibilité aux nouvelles technologies pour les personnes atteintes de handicaps physiques est un problème qui nous concerne toutes et tous et que les représentant∙e∙s des peuples du monde doivent en faire une priorité. Ce faisant, leurs besoins doivent être traduits, les coûts des logiciels, des ordinateurs, des prothèses auditives doivent être abordables et à faibles coûts pour les masses; les producteurs-trices et développeurs-euses doivent rendre les dispositifs plus accessibles, pour réduire le risque d’exclusion et de marginalisation.
Quelques références pour aller plus loin
From exclusion to empowerment
Convention relative aux droits des personnes handicapées
Egalité pour les personnes handicapées: Statistiques Suisse
Dimensions éthiques de la société de l’information
Selon l’UNESCO: “Le savoir et l’information ont un impact considérable sur la vie des gens. Le partage du savoir et de l’information, en particulier à travers les technologies de l’information et de la communication (TIC), a le pouvoir de transformer les économies et les sociétés (…) Les sociétés du savoir doivent se fonder sur quatre piliers : la liberté d’expression, l’accès universel à l’information et au savoir, le respect de la diversité culturelle et linguistique et une éducation de qualité pour tous.”
En outre, le plan d’action issu du SMSI déclare dans le préambule de sa Grande orientation C10 intitulée: Dimension éthique de la société de l’information: ”Les sociétés de l’information et du savoir devraient reposer sur des valeurs universelles, chercher à promouvoir le bien et éviter les utilisations néfastes des TIC”. L’ objectif des parties prenantes était aussi : “ d’encourager le respect des valeurs fondamentales sur le plan de l’éthique dans l’utilisation des TIC et empêcher les utilisations abusives, continuer d’inviter toutes les parties prenantes du milieu de la recherche à poursuivre leurs travaux sur la dimension éthique des TIC et d’examiner plus avant les défis et opportunités actuels et qui se font jour; continuer d’améliorer la protection de la vie privée et des données personnelles”.
Certes, nous vivons dans un monde en perpétuel changement et les nouvelles technologies occupent une place de plus en plus importante dans notre quotidien et nous offrent des opportunités nouvelles pour l’acquisition de connaissances. Nous assistons aussi à la naissance d’une nouvelle culture de communication qu’est la culture numérique, du virtuel. Même si les technologies de l’information et de la communication (TIC) permettent d’accéder à l’information et au savoir, n’importe où dans le monde, même si elles sont capables de stimuler l’innovation et faciliter le développement, d’offrir des moyens d’agir à différents groupes de la population tant dans les pays développés que dans les pays en voie de développement, il faut reconnaître qu’elles peuvent aussi être utilisées de manières abusives pour divulguer des données privées, usurper l’identité ou l’image de quelqu’un . Si Internet est reconnu comme l’une des plus grandes inventions, qu’elle soit considérée comme une plateforme de revendication citoyenne, qu’elle permet de faciliter la communication avec les autres (SKYPE, vidéo conférence, Adobe Connect, etc.), de partager et défendre des idées sur des questions touchant le monde entier par le biais des réseaux sociaux, son utilisation est peu garantie et la fiabilité des informations recueillies reste toute relative.
C’est pourquoi, pour garantir une société de l’information, il est important de débattre de la dimension éthique afin d’élaborer des directives pour la protection des données privée et le respect des obligations morales et éthiques.
Constats principaux et conclusion
Le SMSI s’est tenu à Genève du 25 au 29 mai 2015. Le thème principal était: « Innover ensemble: Les TIC au service du développement durable ». Son but premier était d’une part de faire le bilan de réalisations des dix années écoulées depuis les deux phases organisées à Genève, 2003, Tunis, 2005, et d’autre part, de rassembler les parties prenantes du monde entier afin d’avoir une discussion de qualité sur les différentes thématiques relatives à la société de l’information à savoir: l’autonomisation des femmes et des personnes handicapées, la protection des données privées, la cyber-criminalité, la fracture numérique, etc.
Au terme de ce sommet, les représentant∙e∙s des peuples du monde ont élaboré une Déclaration du SMSI+10 sur la mise en œuvre des résultats du SMSI. Elles/ils ont conclu à un bilan positif du sommet en reconnaissant que l’utilisation des TIC s’est considérablement développée et que les technologies sont devenues partie intégrante de la vie quotidienne. Que les technologies ont aussi fait preuve de leur utilité comme moyens d’encourager et de faciliter le développement en vue d’atteindre les « Objectifs Du Millénaire » ( ODM).
Les parties prenantes du monde entier ont reconnu que malgré les efforts considérables déployés par les organisations internationales, l’UIT, les Nations Unies, et les acteurs/actrices de la société de l’information pour une accessibilité pour toutes et tous aux technologies, des défis restent à relever pour surmonter les grandes disparités et donner à tous les groupes de population et à tous les pays, les moyens de bénéficier de l’accès universel à l’information et au savoir. Malgré des initiatives visant à réduire le fossé numérique, celles et ceux qui ont le plus besoin d’accéder à l’information et au savoir n’en disposent pas. Les parties prenantes au SMSI ont reconnu qu’en dépit des progrès récents, il demeure une fracture numérique importante qui ne cesse de s’accroître entre les pays développés et les pays en développement, les uns et les autres se trouvant à des stades de développement différents. Cette fracture a des incidences sur de nombreuses applications utiles d’un point de vue économique et social dans les domaines comme la gouvernance, les affaires, la santé ou l’éducation.
Elles/ils ont reconnu qu’il serait nécessaire d’investir durablement dans les infrastructures et les services TIC afin de donner aux jeunes les moyens d’agir en tant qu’apprenant∙e∙s, développeurs, entrepreneurs et décideurs; promouvoir et préserver l’égalité hommes – femmes et de donner aux femmes les moyens de leur autonomie: d’accroître la confiance pour ce qui est de l’utilisation des TIC pour toutes et tous y compris les jeunes, les personnes âgées, les personnes handicapées, les pauvres, les migrant∙e∙s, etc.
Elles/ils ont aussi renouvelé leur détermination à renforcer la coopération afin de chercher des réponses communes aux problèmes qui se posent et aux défis associés à la mise en œuvre du Plan d’action de Genève.
Pour aller plus loin
http://www.itu.int/net4/wsis/forum/2015/Content/doc/WSIS.Forum.2015_ProgrammeBrochure.pdf