Le miracle de la pédagogie inversée

Lors de la 14ème conférence ITHET (International Conference on Information Technology Based Higher Education and Training) qui s’est déroulée à Lisbonne, une présentation sur la pédagogie inversée m’a particulièrement interpelée, en particulier sur la dimension un peu « magique » qui est donnée aux nouvelles approches pédagogiques qui s’appuient sur les technologies, que ce soit la pédagogie inversée ou les MOOCs.

L’objectif des travaux exposés dans cette présentation consiste à rendre les étudiant·e·s consciemment compétent·e·s par eux/elles-mêmes en s’appuyant sur la pédagogie inversée (« Getting engineering students to be consciously competent on their own » par Robin Braun and Zenon Chaczko de l’Université de Technologie de Sydney).

L’auteur propose un modèle d’apprentissage dans lequel sont représentés les différents états d’un·e apprenant·e : 1) inconsciemment incompétent·e (je ne sais pas que je ne sais pas), 2) consciemment incompétent·e (je sais que je ne sais pas), 3) consciemment compétent·e (je sais que je sais) et 4) inconsciemment compétent·e. Un·e apprenant·e passe d’un état à un autre au cours de ses activités. Il/elle part initialement de l’état inconsciemment incompétent. A tout moment, il/elle peut basculer dans un cinquième état qui serait celui de l’échec et du chaos.

Lorsque l’enseignant·e enseigne, il/elle fournit les ressources nécessaires à l’apprenant·e pour passer d’inconsciemment incompétent·e à consciemment incompétent·e, et quand l’apprenant·e apprend, il/elle passe de consciemment incompétent·e vers consciemment compétent·e. L’expérience lui permet ensuite de passer à l’état inconsciemment compétent·e. Cet état correspond à une combinaison de connaissances et de « sagesse » qui vient avec l’expérience.

L’auteur propose aussi un modèle d’apprenant·e simple dans lequel celui-ci transforme des ressources (qui sont principalement des capacités et des connaissances) en compétences.

La pédagogie inversée peut intervenir de façon appropriée, selon lui, avec le support des technologies de l’information. La pédagogie inversée est présentée comme permettant de libérer totalement l’enseignant·e de l’acquisition des connaissances par l’apprenant·e, ce qui le délivre d’avoir à assurer la transition de l’état incompétent à l’état compétent. C’est l’apprenant·e qui le fait pour elle/lui-même et par elle/lui-même.

La stratégie proposée est la suivante :

  • Centrer la classe sur l’apprenant·e : il est nécessaire de guider l’apprenant·e pour qu’il acquiert les connaissances nécessaires. Cette acquisition peut être guidée par l’évaluation. Le « truc », en terme d’évaluation, est de faire de l’évaluation formative en laissant l’apprenant·e penser qu’il s’agit d’évaluation sommative.
  • Transformer les connaissances en ressources : en rendant l’apprenant·e conscient·e qu’une connaissance n’est pas un but d’apprentissage, mais juste une ressource.
  • Développer les compétences: en rendant l’apprenant conscient·e qu’il/elle devient de plus en plus compétent·e et pas seulement qu’il/elle apprend plus.

L’exemple qui est donné est celui d’un cours qui passe de séquences de 3 heures par semaine, incluant 1 heure de cours, 1 heure de quiz et 1 heure de laboratoire, à des séquences hebdomadaires de 3 heures, incluant cette fois 1 heure de quiz sur le matériel présentant le contenu du cours de la semaine, suivi d’une heure de tutoriel sur les aspects compliqués du contenu du cours et qui se termine par 1 heure de laboratoire. L’heure de cours a disparu.

On notera l’aspect très déterministe des modèles présentés, ce qui n’est pas très étonnant quand on sait que l’auteur enseigne à des ingénieur·e·s.

Comme souvent lorsqu’apparaît une « nouveauté » (ou au moins qui présentée comme telle), l’engouement que connaît la pédagogie inversée (combiné à l’utilisation des technologies de l’information pour la soutenir) se focalise sur les résultats potentiels. Mais les détails de la mise en œuvre concrète sont largement occultés, alors qu’ils sont particulièrement importants :

  • Quel matériel transmet-on et comment le transmet-on à l ‘apprenant·e ? L’approche telle que décrite laisse à penser que l’enseignant·e est vraiment libéré·e de cette tâche, à tel point que le contenu et la façon de le transmettre ne semble plus avoir d’importance. Suffit-il d’accumuler une masse de connaissances pour permettre à l’apprenant·e de les acquérir ? Suffit-il de les mettre à la disposition des apprenant·e·s ?
  • Que se passe-t-il si le contenu n’est pas acquis ? Fournir des ressources présentant le contenu du cours ne garantit pas son acquisition par l’apprenant·e. Que se passe-t-il dans ce schéma si la forme sous laquelle le contenu est transmis ne correspond pas ? On a l’air de sous-entendre que l’apprenant·e va apprendre le contenu à son rythme et que cette liberté va garantir qu’il soit effectivement acquis.
  • Comme pour les MOOCs, la pédagogie inversée est présentée comme un moyen de libérer l’enseignant·e de certaines tâches qui lui sont habituellement dévolues. Soit pour lui permettre de se focaliser sur des aspects plus importants, soit pour des questions plus pragmatiques de limitations de ressources humaines. Ce qui est négligé ici, c’est qu’implicitement, une ou plusieurs tâches d’enseignement sont externalisées vers les apprenant·e·s. En oubliant de leur fournir les ressources et les compétences nécessaires pour les réaliser. Il se retrouvent alors dans la situation d’avoir à apprendre et à « apprendre à apprendre » en même temps.