Les tableaux blancs interactifs: un nouvel outil pour l’enseignement en petit groupe

Dans le cadre d’un projet de rénovation des infrastructures et services destinés à optimiser l’utilisation des technologies dans l’enseignement à l’Université de Genève, la faculté de médecine a pu équiper, début 2014, l’ensemble des salles pour l’enseignement en petit groupe avec des tableaux blancs interactifs (TBI).

Qu’est-ce qu’un TBI ?

Un TBI est un tableau blanc tactile associé à un ordinateur et un vidéoprojecteur à courte focale qui ne produit pratiquement pas d’ombre. L’utilisateur, l’utilisatrice intervient sur le tableau à l’aide d’un stylet ou par simple toucher du doigt, ces derniers se transformant en curseur ou crayon selon le logiciel utilisé. La position du stylet ou du doigt est détectée selon un mécanisme propre aux différentes marques de TBI et est relayée à un ordinateur qui pilote le tableau. Le vidéoprojecteur se charge d’afficher l’écran de l’ordinateur sur le tableau blanc. Tout ce que l’on peut réaliser sur un ordinateur peut être effectué sur un TBI. Toutefois, des logiciels spécialisés sont utilisés pour le travail d’écriture manuscrite et de dessin à main levée sur le tableau. Une vidéo le démontre .

L’APP, contexte d’utilisation des TBI en faculté de médecine

Une partie de l’enseignement du programme pré-gradué des études de médecine repose sur la méthode d’enseignement appelée « Apprentissage par problème (APP) » [1]. Sous la conduite d’un∙e enseignante∙e (tuteur/tutrice), un groupe de 8 à 12 étudiant∙e∙s collaborent sur un problème en sciences médicales de base ou clinique. Ce travail s’articule en trois phases successives: une première séance de 2h pour tenter d’expliquer le problème, une période d’auto-apprentissage de 1 à 2 jours et une dernière séance de 2 heures pour faire le bilan du problème.

Durant ces séances l’un∙e des étudiant∙e∙s, le ou la secrétaire, retranscrit sur un tableau blanc un ensemble d’éléments relevés et débattus durant la discussion du groupe:

  • La liste des indices du problème et des phénomènes à expliquer
  • Les hypothèses et explications du problème sous la forme de listes à puce, de schémas ou d’arbres de concepts
  • La liste des objectifs d’apprentissage
  • L’explication et synthèse du problème

Un∙e autre étudiant∙e, le scribe, consigne sur une feuille de papier les éléments significatifs du tableau. A l’issue de chaque séance, la scribe photocopie ou numérise ses notes et les distribue à tous les membres du groupe.

Dans cette brève description de la méthode APP nous avons volontairement mis l’accent sur les actes d’écritures et de représentations schématiques sur le tableau blanc qui est un élément central : c’est le lieu où se cristallise la connaissance du groupe.

Le TBI en soutien à l’APP

Une séance APP. La secrétaire écrit sur le TBI.

Une séance APP. La secrétaire écrit sur le TBI.

Dans ce contexte, le TBI est un tableau blanc « sous corticoïdes », il a le potentiel de faciliter plusieurs étapes du processus APP:

  1. Le problème et ses annexes sont imprimés dans un cahier distribué aux étudiant∙e∙s. Le TBI permet d’afficher la version numérique de l’énoncé du problème ainsi que toutes ses annexes comme, par exemple, des coupes histologiques ou des images anatomiques, des tableaux de données ou des sites web complémentaires. La secrétaire a également la possibilité de surligner et d’annoter tous ces éléments directement sur le TBI.
  2. Le tableau blanc classique a une surface limitée et son contenu doit souvent être effacé pour faire de la place. C’est pourquoi le scribe recopie régulièrement les éléments importants du tableau. Grâce à un logiciel bloc-note propre au TBI, la place est illimitée et tous les éléments d’écriture sont des objets que l’on peut déplacer et modifier à loisir. Ainsi le rôle du scribe est devenu superflu et cet∙te étudiant∙e peut participer pleinement au travail du groupe.
  3. Le travail du groupe sur le TBI étant sauvegardé sous forme numérique, ce dernier peut être facilement envoyé par e-mail aux membres du groupe au format original ou pdf. Ce document peut être réutilisé pendant la période d’auto-apprentissage et pendant la séance bilan.
  4. En principe seule la secrétaire écrit au tableau, parfois un∙e autre membre du groupe vient au tableau pour dessiner si son explication verbale n’est pas claire. La technologie web associée au TBI permettrait aux membres du groupe disposant d’un appareil mobile (smartphone, tablette, ordinateur portable) d’envoyer une phrase courte ou une image de leur appareil directement sur le TBI. Cette fonction pourrait être utile pour la phase de brainstorming de l’APP.

Naturellement les TBI ont aussi des désavantages. Ainsi, on pourrait craindre que la possibilité d’aller sur Internet pour trouver des réponses toutes faites aux problèmes court-circuite le travail de brainstorming et entrave la dynamique du groupe. Ce problème potentiel peut être limité par l’établissement de règles d’usage claires. De plus, le TBI étant un outil hautement technologique, des pannes peuvent survenir. Pour pallier à cette éventualité, toutes les salles sont également équipées d’un tableau blanc classique.

Perception des TBI par les étudiant∙e∙s

Afin de savoir comment les TBI sont utilisés et si leur introduction est un élément facilitateur des séances APP, les étudiant∙e∙s de 2ème et 3ème année Bachelor ont été invité∙e∙s à participer à une enquête en ligne, six mois environ après l’introduction des TBI, c’est à dire en mai-juin 2014.

Avec plus de 70% de réponse, cette enquête indique que si les TBI ont été plutôt bien reçus par les étudiant∙es, leur introduction ne semble pas avoir engendré de modifications notables dans le processus APP, ni au niveau individuel, ni au niveau du groupe, à l’exception de la suppression du rôle de scribe. Plus spécifiquement, on peut relever que:

  • le TBI et le logiciel d’écriture sont considérés comme facile à utiliser, ce qui confirme l’adéquation du matériel choisi,
  • le TBI est utilisé la plupart du temps comme un tableau blanc classique, les étudiant∙e∙s faisant peu usage de la palette d’outils à leur disposition
  • l’utilisation de l’iconographie associée aux problèmes est facilitée, mais elle est peu souvent intégrée dans les notes prises sur le TBI. Pourtant les étudiant∙e∙s trouvent que les notes du groupe sont devenues plus riches.

Que dit la littérature à propos des TBI ?

Les écoles primaires et secondaires ayant été les premières à être équipées de TBI depuis les années 2000, la majorité de la littérature publiée parle de la perception que les élèves et enseignants ont des TBI ou encore des effets des TBI sur les pratiques en classe [2,3,4]. La récente revue de littérature de Jun et Bridges [5] à propos de l’impact des technologies éducatives sur le processus APP est l’une des rares publications concernant l’usage des TBI dans l’éducation supérieure. Globalement, les 5 articles sélectionnés dans cette revue montrent un effet positif des TBI sur l’APP. Pour autant que les problèmes soient enrichis par des documents d’apprentissage et une iconographie, le TBI aide l’apprentissage par la découverte propre à l’APP [6]. En tant qu’outil de travail collaboratif, le TBI a permis à des étudiant∙e∙s d’arriver plus rapidement aux bonnes décisions dans la gestion d’un cas clinique [7]. Un autre article montre que le TBI a aidé le tuteur à mieux réguler ses interventions dans le contexte du « Deterioration Patient », une version modifiée de la méthode APP [8].

Finalement, une publication met en garde contre le fait que le temps précieux dévolu au processus d’élaboration de la connaissance durant la première phase de l’APP pourrait être utilisé pour faire des recherches sur Internet afin de trouver des réponses aux questions soulevées par le problème, une activité qui est normalement réservée pour la période d’auto-apprentissage [9]. Cette crainte s’est révélée infondée dans notre cas.

Conclusion et perspectives

Les résultats de notre enquête auprès de nos étudiant∙e∙s sont quelque peu décevants mais pas inattendus. En effet, l’installation des TBI s’est faite dans un temps très court, entre deux semestres, et ni les étudiants (plus de 300), ni leurs tuteurs n’ont pu être formé de manière adéquate. Entre-temps, des ateliers ont été organisés pour les enseignant∙e∙s responsables du semestre d’automne suivant afin de les sensibiliser aux possibilités offertes par les TBI et de préparer les problèmes en conséquence. Une deuxième enquête en cours devrait nous dire si ces ateliers ont porté des fruits et si les usages ont évolué. En parallèle, une enquête a aussi été menée auprès des tuteurs/tutrices.

De plus, avec ses fonctions de capture d’écran en continu, le TBI ouvre de nouvelles perspectives dans la recherche en pédagogie. Le matériel récolté permettrait d’étudier, par exemple, comment la connaissance du groupe se construit au cours du temps ou d’évaluer l’impact des appareils mobiles interagissant avec le TBI sur le travail collaboratif.

Références

  1. http://www.unige.ch/medecine/enseignement/formationsDeBase/medecineHumaine/formatsApprentissage/app.html, dernière visite le 16 février 2015
  2. TBI. Enseigner avec les tableax blanc interactifs. educa.ch, Institut suisse des médias pour la formation et la culture, en collaboration avec fri-tic, 2010. http://guides.educa.ch/fr/tableaux-blancs, dernière visite le 16 février 2015
  3. Higgins, S, Falzon, C, Hall, I, Moseley, D, Smith F, Smith, H, and Wall, K (2005). Embedding ICT in the literacy and numeracy strategies: final report. http://dro.dur.ac.uk/archive/00001899/, dernière visite le 21 janvier 2015
  4. Higgins, S, Beauchamp, G, and Miller, D (2007). Reviewing the literature on interactive whiteboards. Learning, Media and Technology 32, pp. 213‑25. doi:10.1080/17439880701511040.
  5. Jun, J, and Bridges, S M (2014). Educational Technologies in Problem-Based Learning in Health Sciences Education: A Systematic Review. Journal of Medical Internet Research 16, 12, pp. e251. doi:10.2196/jmir.3240.
  6. Bridges, SM, Botelho, MG, and Tsang, PCS.(2010). PBL.2.0: Blended Learning for an Interactive, Problem-Based Pedagogy. Medical Education 44, pp. 1131‑1131. doi:10.1111/j.1365-2923.2010.03830.x.
  7. Lu, J, and Lajoie, S P (2008). Supporting medical decision making with argumentation tools. Contemporary Educational Psychology, 33, pp. 25–442.
  8. Lu, J, Lajoie, SP, and Wiseman J (2010). Scaffolding Problem-Based Learning with CSCL Tools. International Journal of Computer-Supported Collaborative Learning 5, pp. 283‑98. doi:10.1007/s11412-010-9092-6.
  9. Kerfoot, BP, Masser, BA, and Hafler JP (2005). Influence of new educational technology on problem-based learning at Harvard Medical School. Medical Education, 39, pp. 380‑87. doi:10.1111/j.1365-2929.2005.02105.x.

Note: une partie de cet article a été publiée dans les comptes rendus de la conférence INTED2015