Retour sur la matinée Classes inversées de l’AIPU
Le 8 octobre 2014, la section suisse de l’Association Internationale de Pédagogie Universitaire (AIPU-ch) organisait à l’Université de Genève une matinée-débat sur le thème « Classes inversées – la pédagogie universitaire sens dessus dessous« . La communauté académique des Hautes Écoles Suisses était invitée à découvrir/questionner la classe inversée dans l’enseignement et l’apprentissage, à travers deux conférences d’Ariane Dumont et de Marcel Lebrun. La matinée s’est terminée par une table ronde.
Ce billet propose un résumé de ces trois moments.
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- La classe inversée dans le contexte suisse, Ariane Dumont
Ariane Dumont, professeure et conseillère pédagogique à l’HEIG, est détachée au rectorat HES-SO pour promouvoir la classe inversée.
Comment enseigner autrement pour de meilleurs apprentissages ?
Ariane Dumont constate que la manière d’enseigner, comme elle-même l’a vécue et apprise, ne correspond plus à l’évolution de la société et des technologies. Les étudiant·e·s développent de nouvelles manières d’apprendre, de nouveaux usages des outils et supports informatiques. La transmission du savoir en classe, sous forme de cours ex cathedra avec l’assimilation de l’information en dehors de la classe, ne correspond plus à leur réalité. Actuellement, Internet joue un rôle croissant pour trouver de l’information et communiquer son savoir, ce qui modifie aussi le rôle de l’enseignant·e et de l’étudiant·e à travers l’hyper connectivité.
La classe inversée propose un modèle dynamique et interactif intégrant des activités d’enseignement et d’apprentissage en présentiel et à distance, dans un continuum de temps:
• Avant le cours: tâches préparatoires. Toutes les activités sont possibles : vidéos, lectures, etc. ;
• Pendant le cours : transmettre, aider à comprendre (le transfert de connaissances se fait aussi pendant le cours) ;
• Après le cours: travail de retour à la maison, qui permet de continuer à apprendre.La classe inversée est au centre de trois savoirs : savoir technologique, savoir pédagogique, savoir en terme de contenu.
Posture active de la part des étudiant·e·s
La classe inversée demande une posture active de la part des étudiant·e·s en interaction avec les enseignant·e·s, ainsi qu’entre elles/eux. L’étudiant·e apprend par lui/elle-même, à travers ce que l’enseignant·e transmet et en groupe, avec ses pair·e·s. Pour que les étudiant·e·s s’engagent et s’approprient cette démarche, les enseignant·e·s doivent expliquer clairement les objectifs de la formation, les compétences à acquérir, les tâches à réaliser et leurs différentes modalités (travail en groupe, travail individuel, partie enseignement en présentiel, partie enseignement à distance, etc), ainsi que les modalités d’évaluation. L’enseignant·e enseigne et accompagne l’étudiant·e et le groupe. L’étudiant·e de son côté développe son autonomie et des compétences qui soutiennent sa motivation.
Etat d’esprit
Ariane Dumont montre dans un exemple basé sur sa pratique à quel point la classe inversée est, pour l’enseignant·e une opportunité de faire évoluer sa propre manière d’enseigner. Même si des recherches, dont celles d’Eric Mazur, ont permis de formaliser cette approche, il ne s’agit pas d’appliquer un modèle de classe inversée, mais de créer et d’expérimenter sa propre approche en s’inspirant d’autres pratiques. La classe inversée implique ainsi un esprit d’ouverture, de confrontation avec d’autres modèles, de partage d’expériences avec d’autres enseignant·e·s et avec les étudiant·e·s.
- Les classes inversées: vision, théories, expériences, Marcel Lebrun
Faut-il parler de pédagogie « sens dessus dessous »? Pour Marcel Lebrun, professeur à l’Université Catholique de Louvain, l’enseignement et l’apprentissage évoluent en phase avec l’évolution des technologies. Le rayon d’action de l’information est en train de s’agrandir (savoirs externalisés).
Marcel Lebrun se réfère au cycle de Kolb pour rappeler les 4 étapes du cycle d’apprentissage par l’expérience: le recours à l’expérience concrète, le passage à l’observation réfléchie, la conceptualisation et l’initiation à l’abstraction et enfin le passage au stade de l’expérimentation active (normalement dans cet ordre, en un cycle complet). Dans ce modèle, un cycle d’apprentissage ne commence ni ne se complète nécessairement au cours de l’étape de l’expérience concrète, mais dépend du style d’apprentissage propre à chacun, que Kolb répartit en quatre groupes généraux de styles cognitifs: divergent, assimilateur, convergent, accommodateur.
L’expérience de classe inversée se fonde sur l’ »alignement constructiviste » (Biggs. 1999, Lebrun, 2007). A la triple cohérence Méthodes – Évaluation- Objectifs, Marcel Lebrun a ajouté les outils et la notion d’ »hybridation ».
Informer – produire – motiver – activer et faire interagir
L’enseignement (motivation, contexte, contenu, tâches, problèmes, etc.) et le processus d’apprentissage sont créés à travers un scenario pédagogique qui prend en compte le temps avant le cours, le travail à distance (vidéos, lectures, recherches documentaires, travaux, préparation d’une activité) et le travail en présentiel (débats, questions/réponses, exposés, animations, débats, activités de synthèse). Chaque enseignant·e a sa manière de créer une classe inversée et développer, avec les étudiant·e·s, une communauté d’apprentissage et de pratique. La recherche européenne HYP-SUP a mis en évidence 6 types de dispositifs hybrides :
- L’enseignant est maître à bord:
- 1. la scène
- 2. l’écran
- 3. le cockpit
- Le professeur devient coach:
- 4. l’équipage
- 5. le métro (parcours pédagogiques (points de passage obligés)
- 6. l’écosystème
L’exemple du cours M. Lebrun – LPSY 1408 Technologies de l’enseignement et de l’apprentissage
Les objectifs de formation (LO, learning objectives), le dispositif, les conditions d’évaluation sont explicitées, de même que les diverses tâches:
1. flipped classroom (vidéo en ligne, commentaires sur forum. etc.)
2. peer instructions (organisation groupe débats, commentaires, etc.)
3. activités en groupe sur la plateforme (dépôt de travail provisoire, forum, etc.)
4. mini colloque et peer reviews
5. travail critique du groupe et du travail d’un autre groupe
6. feedbackEnseigner devient un nouveau métier – apprendre nécessite de s’approprier de nouvelles compétences, notamment de :
- mieux organiser les espaces (distance-présence, mobilité) et les temps (synchrone, asynchrone): intervertir les espaces-temps
- proposer une formation plus individualisée et davantage en résonance avec les rythmes, les styles et les activités de chacun/chacune : intervertir surface-profondeur, détails-entités
- mieux équilibrer la nécessaire transmission des savoirs, le développement des savoir-faire et savoir-être: intervertir savoirs et taxonomies
- apprendre à mettre de l’ordre dans des structures désordonnées : intervertir cartes et boussoles, ordre et désordre
- rendre les étudiant·e·s davantage actifs-ives, interactifs-ives : intervertir transmission et appropriation
- répondre à des questions que les étudiant·e·s se posent: intervertir les rôles
Mais surtout, permettre une appropriation par les enseignant·e·s : nul besoin de tout intervertir en une fois!
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Table ronde en présence de: Marcel Lebrun (Université de Louvain la Neuve), Olivier Maulini (UNIGE, FPSE), Antoine Mudri (responsable filière professionnelle, HEP Valais), et un étudiant de la FPSE.
Peut-on apprendre mieux en apprenant autrement par les classes inversées ?
O. Maulini : La question centrale est : pourrait-on mieux apprendre en apprenant autrement? Le schema de la classe inversée est vieux comme le monde. L’enjeu est une densification des apprentissages et des connaissances des processus d’apprentissage. Apprendre à lire un texte, à écouter une vidéo,… demande un tutorat, des compétences d’accompagnement. Les compétences requises deviennent plus complexes.
M. Lebrun : les classes inversées ne sont pas une invention de l’enseignement supérieur, mais de l’enseignement secondaire et des instituteurs la pratiquent déjà. L’évolution des technologies conditionne la diffusion et l’acquisition des savoirs, ainsi que la réflexion pédagogique. Enseigner, c’est offrir des possibilités d’apprendre. L’apprentissage comporte de multiples facettes: donner des compétences transversales, apprendre à apprendre hors du cours, apprendre à construire des savoirs, apprendre à enseigner des savoirs et des savoirs faire,… Les enseignants sont appelés à travailler dans des cycles de plus en plus courts, au moyen de cours construits par scenarios.
Quid des examens et de l’évaluation liés aux CI
O. Maulini : prétendre changer la pédagogie sans changer l’évaluation est un non-sens. Un des mots entendus aujourd’hui, en filigrane, est « évaluation formative », bien diffusé dans les petits degrés (que fait l’enseignante, quelles sont les ressources à disposition pour approcher l’enfant et mesurer s’il apprend ce qu’il doit apprendre ?). Il existe également une observation formative, qui exige de l’enseignant·e de préciser quelles sont les connaissances ou compétences-clés à développer et à évaluer. Cela mène à une collectivisation et une mutualisation des enjeux d’apprentissage de la classe.L’étudiant de la FPSE met en évidence l’importance des stratégies d’apprentissage et de l’appropriation de sa stratégie d’apprentissage propre. Il a réalisé des tests empiriques en petits groupes ou en face-à-face lors de la préparation des examens. Il relève qu’en groupe, le travail de fait souvent avec les même personnes, les autres ayant peur de se mettre en avant; le face-à-face est la solution préférée par l’étudiant. Dans une autre expérience avec le même interlocuteur, la transmission des connaissances a été très performante, même si l’un des deux intervenants n’a pas révisé. Il se réfère aux expériences de Mugny et Doise sur les conflits socio-cognitifs. Il relève que l’erreur va inciter à « rattraper » la connaissance qui fait défaut.
Peut-on faire des classes inversées avec des grands groupes ?
M. Lebrun : il est difficile de mettre en place des classes inversées avec de grands groupes. Mais l’on peut démultiplier les tâches et demander à un groupe de faire une présentation, à un autre de construire le débat, à un autre encore d’évaluer et enfin à un dernier de faire la synthèse. Autre tactique du groupe Mazur : les lectures préalables sans test, puis travail en situations problèmes. Les étudiant·e·s votent ensuite pour l’une de trois hypothèses permettant d’expliquer la situation à problèmes. Au minimum 30% des réponses doivent être correctes pour continuer. De cette manière, l’enseignant·e a une première appréciation du travail des étudiant·e·s. En amphithéâtre, les éléments sont ensuite retravaillés, puis conclus par un nouveau vote.
A lire également sur le blog du centre NTE d’Uni-Fribourg : Classe inversée : la pédagogie universitaire sens dessus dessous
A ce sujet, le blog « E-literate » vient de publier un billet intitulé Flipped Classrooms: Annotated list of resources