Brainstorming autrement

La technique du « brainstorming » est devenue tellement courante dans les pratiques de l’enseignement, qu’il suffit qu’unŸ•e enseignante dise : «On va faire un brainstorming » pour que tout le monde comprenne qu’il s’agit de participer activement à une activité où, tour à tour, chaque apprenantŸ•e, devra proposer des mots ou des idées concernant le sujet dont il est question.

On pourrait croire que cette technique se résume à réunir un certain nombre de concepts différents formulés par des personnes appartenant à un groupe pour que l’on puisse parler de « brainstorming ». Combien de fois n’ai-je pas entendu des enseignantes dire : « Pour commencer mon cours,  je compte faire un brainstorming de 5 à 10 minutes maximum ». Celui-ci est, en effet, très souvent utilisé pour introduire un nouveau sujet dont l’enseignantŸe voudrait faire ressortir les représentations qu’il évoque ou avoir une idée de ce que les participants peuvent apporter.

C’est pour cette raison qu’avant de parler d’un autre type de « brainstorming », intéressons-nous à mieux savoir en quoi consiste la méthode et quels en sont les potentiels.

Il n’est pas anodin de savoir que cette technique, bien que très ancienne et originaire de certaines traditions religieuses hindoues, a été mise en lumière vers la fin des années 30, du siècle dernier, par A.-F. Osborn, directeur d’une société de publicité américaine. Celui-ci a mis sur pied un système de réflexion en groupe, que ses employ韕eŸ•s avaient l’habitude d’appeler : « Sessions de Brainstorm ». Son idée était de tout mettre en œuvre pour faire émerger de nouvelles idées. La grande crise économique mondiale de cette période exigeait une forte créativité et une implication de tout le monde en vue de participer à la résolution des problèmes. Quelques années plus tard, Osborn écrira des ouvrages sur la créativité, l’émergence des idées ainsi que sur l’imagination constructive. En 1953, il publie l’ouvrage « Applied imagination » qui rend compte, suite à une série des travaux et d’expériences, de la technique de « brainstorming » revisitée.

Le rôle du travail en équipe apparaît comme central. Les associations d’idées, reconnues déjà par les philosophes grecs, qu’elles soient par similitude, par contiguïté ou par contraste, sont les moyens forts de cette technique. Elles agissent d’une double manière : d’une part, en stimulant l’imagination de celui ou celle qui les émet et d’autre part, en stimulant l’imagination de celui ou celle qui les entend. Elles permettent un développement in crescendo de la pertinence des idées récoltées. Osborn, d’ailleurs, nous apprend que les 50 premières idées émises sont moins intéressantes que les 50 suivantes, et ainsi de suite.

La méthode permet, selon l’auteur, non seulement la découverte de faits, mais aussi la découverte d’idées et la découverte de solutions. Chacun de ces axes nécessite une préparation spécifique. Il s’agit de savoir comment présenter le sujet, comment inciter chaque membre du groupe à participer, comment stimuler préalablement l’imagination. Un sujet annoncé sous forme de question incite à plus de dynamisme que sous forme de titre. Enfin, dans certains cas, le sujet du « brainstorming » se doit d’être annoncé plusieurs jours à l’avance.

Dès le début du « brainstorming», deux règles doivent être respectées : la première, très importante, qui exige «l’absence de tout jugement ». La deuxième qui impose les conditions nécessaires à l’émergence de nouvelles idées, car « la quantité fournit la qualité ».

L’esprit critique est, selon Osborn, un danger pour la créativité. Cette dernière étant l’objectif central de ce type de méthode, il faut laisser l’imagination libre: libre de tout jugement afin qu’un maximum d’associations d’idées puisse se manifester, sans contrainte aucune. Laisser l’esprit divaguer vers des idées inattendues, nouvelles, originales est la meilleure manière de réussir une séance de « brainstorming ».

La quantité est aussi importante, l’énoncé de quelques idées ne suffisant pas pour découvrir de nouvelles pistes de réflexion. Il faut, de plus, créer une atmosphère de travail permettant le bon déroulement des diverses phases du processus créatif. Enfin, il faut s’assurer qu’une personne prendra note de toutes les idées produites.

Après la récolte d’idées, une deuxième étape organise, classifie et catégorise les réponses. De nouvelles questions surgissent souvent à ce stade. L’approfondissement de l’analyse grâce à l’intervention de personnes invitées ou d’experts n’ayant pas participé à la session peut être bénéfique. Enfin, selon les objectifs fixés, cette technique peut être fortement innovatrice, pour autant que l’on se laisse le temps (souvent au-delà des 10 minutes généralement prévues).

Depuis que cette méthode est pratiquée, maintes études de psychologie sociale se sont intéressées à la créativité au cours de travaux de groupe. Dans l’ouvrage Group Creativity (2003, sous la direction de Paul B. Paulus et Bernard A. Nijstad), il est avancé que cette technique présenterait des failles qui peuvent faire obstacle à la créativité. Un des grands problèmes serait la participation des individus durant la session. Il s’avèrerait que ceux et celles qui ont ont de la facilité à s’exprimer dominent le groupe, créant un malaise chez ceux ou celles qui ont de la difficulté à s’exprimer. L’assaut d’idées deviendrait, en fin de compte, le monopole de ceux qui parlent le plus. Un deuxième problème, lié au premier, est le fait que la libre association d’idées peut se trouver estompée par l’intervention des autres membres du groupe. Concrètement, le fait que les idées soient lancées les unes après les autres finirait par perturber leur production. En fait, l’intervention des autres peut stimuler, mais peut tout aussi bien « couper l’inspiration » de ceux et celles qui s’imposent moins. Inutile de dire que ce ne sont pas nécessairement ceux et celles qui parlent le plus qui ont les meilleures idées.

De nos jours, le numérique permet d’organiser des séances de « brainstorming » différentes:

  1. l’anonymat des participantŸ•eŸ•s est assuré, ce qui favorise la participation des personnes timides.
  2. la participation peut être simultanée, ce qui évite l’assèchement de l’inspiration lorsque de nouvelles idées sont exprimées.
  3. il est possible d’exprimer non seulement des idées, mais aussi des images (schémas, dessins, photos) qui enrichissent fortement les apports selon les sujets traités.
  4. la personne qui prend des notes n’est plus requise: l’ensemble des idées sont envoyées sur un écran, visible par tous.
  5. les logiciels de « brainstorming » permettent de classifier les données de multiples manières, ce qui en facilite l’analyse.
  6.  il est possible de garder la trace de ce qui a été dit, ce qui permet éventuellement de reprendre la discussion là où elle en était restée.

L’ensemble des aspects que nous venons de citer nous permet donc de conclure que l’usage des technologies numériques nous permet aisément d’offrir un « Brainstorming autrement ».