L’intelligence artificielle ne dort jamais

La Conférence OEB 2016 (Online Educa Berlin) a porté sur la société de l’information et le développement de l’intelligence artificielle (IA) en éducation et dans les institutions de formation. L’introduction de l’IA en éducation est en train de bouleverser les pratiques de l’enseignement. Qu’apprend-on, comment, quand ? Les différentes possibilités créées par l’AI posent la question non seulement de la mise à disposition des savoirs, mais de la substitution même des enseignants par des machines intelligentes.

Peut-on remplacer les enseignants par des robots ?

Etre une enseignante ou un tuteur virtuel qui ne dort jamais, créer de l’auto-formation et de l’auto-évaluation, avoir accès à une information en tout temps et en tout lieu,  rendre l’enseignement moins ennuyeux grâce à l’IA : la palette des possibilités d’introduction de l’Intelligence Artificielle dans l’enseignement est large et bouleverse l’idée même de processus d’apprentissage.

Les organisateurs OEB ont organisé un débat à ce sujet, dont l’objectif avoué était d’amener les personnes participant à la conférence, qu’elles soient enseignantes, administratrices, ingénieurs pédagogiques, conceptrices de solutions informatiques…, à réfléchir à l’enseignement du futur et, surtout, à la possibilité de mettre en œuvre l’IA pour rendre l’enseignement et l’apprentissage plus efficients. Le débat peut être visionné en ligne (OEB 2016 Plenary Debate « This House believes artificial intelligence (AI) could, should and will replace teachers »).

Deux positions ont été défendues. D’un côté les partisans d’une pédagogie interactive voyant le rôle de l’enseignant∙e non pas comme pourvoyeur de connaissances, mais comme  incitateur à la réflexion critique. De l’autre côté, les tenant∙e∙s de l’IA pour qui les possibilités offertes par des ordinateurs intelligents sont sans fin et compensent largement la disparition de l’enseignant∙e dans la formation.

Certaines questions fondamentales n’ont par contre été que peu, ou pas, abordées pendant la conférence. Par exemple: comment les avocat∙e∙s du « tout IA » voient-ils l’école du futur ? Chacun∙e chez soi devant son ordinateur ou un autre type d’interface, hologramme ou robot à l’apparence humaine ? Maintiendra-t-on des classes en présence où l’on regroupera les apprenant∙e∙s : chacun∙e devant un poste informatique dispensant un enseignement «personnalisé» ou toute la classe faisant face à un «robot-enseignant»? Comment un robot pourra-t-il faire face aux différentes dynamiques de groupe et mettre en œuvre une pédagogie différenciée? Les enseignants humains deviendront-ils uniquement des «accompagnateurs/-trices» garantissant la discipline pendant que l’Intelligence Artificielle enseigne ?

La vraie question, au fond, est pourquoi ?

Pourquoi propose-t-on de remplacer les enseignant∙e∙s par des robots intelligents ? Est-ce nécessaire ? Quelle serait la vraie plus-value ?

La question de la demande ou de la nécessité de développer des robots-enseignants n’a pas vraiment été abordée par les pro ou les contre IA. Évidemment, les enseignant∙e∙s répondront qu’ils et elles sont indispensables, qu’il en va du futur de leur profession et de l’emploi, et surtout de la qualité de la formation tandis que les consultants, privés ou petites entreprises, comme les concepteurs/-trices de programmes et pourvoyeurs de plateformes d’enseignement poussent vers une automatisation de plus en plus poussée en ayant en arrière fond des logiques économiques et de concurrence.

Et les apprenant∙e∙s ?

Par contre, il est intéressant de noter que les acteurs et actrices principaux du débat, à savoir les apprenant∙e∙s, n’étaient pas présents dans le débat et n’ont pas été consultés: pas d’enquête ou d’analyse sur leurs besoins et préférences. Ce qui est assez étonnant au vu du thème qu’affichait la conférence – l’appropriation de l’apprentissage par les apprenants !

D’un autre côté il serait vain et surtout dommage, de s’opposer à l’utilisation de la technologie et de l’IA dans l’enseignement : les possibilités qu’elles donnent sont vastes, laissant une large marge de manœuvre pour un enseignement à la carte, qui tienne compte de la diversité des types d’apprenants et des contextes d’apprentissage, avec des degrés d’automatisation variés, afin de permettre au plus grand nombre d’accéder à une éducation de qualité, tout au long de la vie, conformément aux objectifs que se sont fixés les Nations Unies. La réflexion sur le sujet doit être menée sans se faire prendre de vitesse par le développement de l’IA, car l’éducation est non seulement l’un des fondements de la société mais aussi son miroir.

Billet rédigé collaborativement par Patrizia Birchler Emery et Suzanne de Jonckheere

https://oeb.global/programme/debate

https://oeb.global/

« Technology Will Not Replace Teachers » : http://www.huffingtonpost.com/jeff-dunn/teachers-technology_b_4130200.html

« Could online tutors and artificial intelligence be the future of teaching? » : https://www.theguardian.com/technology/2016/dec/26/could-online-tutors-and-artificial-intelligence-be-the-future-of-teaching