Les jeux vidéo, une révolution pédagogique?

« Les jeux vidéo, une révolution pédagogique? » C’est le titre choisi pour l’une des conférences qui se sont tenues durant la Geneva Game Convention                                                 2017 à Palexpo sous forme de tables rondes.

Cette conférence a réuni: Nicolas Szilas (FPSE – Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation – UNIGE), Eric Leguay (École Nationale du Jeu et des Médias Interactifs Numériques, Angoulême) Paul Oberson (DIP et Service école média) et Romain Vincent (Collège de l’Europe & Université Paris 13).

Dès le début de la conférence, les intervenants mettent en cause le terme de révolution. Le jeu vidéo est une technologie déjà mature, si bien qu’il serait plus approprié de parler d’évolution et de diffusion. La révolution n’a pas eu lieu et si révolution il peut encore y avoir, elle pourrait surtout venir de l’intégration effective du jeu vidéo dans les pratiques d’enseignement. La question se résume plutôt à savoir si et comment il est possible d’intégrer le jeu vidéo comme une « corde à son arc » supplémentaire pour l’enseignement à tous les niveaux.

La question de l’intégration effective du jeu vidéo dans les écoles à Genève est évoquée. Le constat est plutôt mitigé. Les jeux vidéos sont utilisés de façon assez systématique dans le premier cycle au primaire avec des élèves non lecteurs. Les jeux utilisés sont des jeux simples qui permettent de travailler les compétences en lecture et écriture. Par la suite, le jeu disparaît de l’enseignement. La pratique du jeu reste très marginale et relève soit de l’intérêt du directeur d’établissement, soit d’initiatives personnelle d’enseignants. Le jeu vidéo reste mal considéré à la fois par la hiérarchie et par les parents. Le résultat est qu’il n’y a pas de vision globale concernant l’intégration et l’utilisation du jeu vidéo dans l’enseignement.

Plusieurs aspects sont relevés:

  • Du côté de l’élève, la pratique du jeu s’inscrit surtout comme une activité de loisir. Introduire le jeu dans les activités d’apprentissage risque de faire perdre la dimension loisir et donc l’intérêt pour la pratique du jeu.
  • Tous les enfants n’aiment pas jouer aux jeux vidéos. Une introduction du jeu vidéo de façon systématique pourrait être contre-productive pour eux. On constate que l’introduction du jeu vidéo peut replacer certaines catégories d’élèves, qui sont en situation d’échec avec les méthodes d’apprentissages habituellement appliquées, dans un contexte positif pour eux qu’ils maîtrisent. Le jeu vidéo peut permettre de redistribuer les cartes entre les élèves.
  • Il est important de comprendre l’impact du jeu dans l’apprentissage et la motivation. La dimension « magique » fréquemment associée au jeu vidéo et qui voudrait qu’il suffit d’installer un∙e élève devant un jeu pour qu’il-elle apprenne s’avère largement fausse. Il a été démontré que le jeu seul ne suffit pas. Il doit être accompagné avant et après. Le jeu en tant que tel pourrait ne représenter que 10 à 15% d’une session d’apprentissage. Il faut considérer un continuum pédagogique dans lequel le jeu n’est qu’une des briques permettant l’apprentissage. De la même façon qu’il n’est pas possible d’apprendre avec le livre seul, il serait irréaliste d’imaginer qu’on puisse apprendre avec le jeu vidéo seul. Il vient simplement s’ajouter à la panoplie des outils et techniques déjà disponibles. Il ne remet pas non plus en question la présence de l’enseignant∙e qui reste indispensable pour l’apprentissage: le jeu vidéo ne permet pas d’apprendre sans enseignant∙e.
  • Même si le jeu reste largement suspect dans l’espace scolaire, il est reconnu qu’il existe une culture du jeu vidéo dans laquelle de plus en plus d’enseignant∙e∙s et de parents ont baigné. Cette situation devrait aussi faire évoluer l’intégration du jeu vidéo dans l’enseignement et sa prise en compte en tant que culture de référence.
  • L’enseignement pourrait s’inspirer de certaines pratiques issues de l’architecture des jeux vidéos: la capacité à évaluer et à exprimer son niveau en terme de compétences et de savoir-faire clairement identifiés, la capacité à pouvoir reprendre un niveau jusqu’à atteindre la réussite ou encore le maintien de l’équilibre entre difficulté et gratification.
  • Les enseignant∙e∙s sont doublement pénalisé∙e∙s. Cette situation n’est pas spécifique au jeu vidéo. Elle apparaît quelle que soit la nouvelle technologie à laquelle ils ou elles sont confrontés. D’une part ils-elles doivent maîtriser la technologie et d’autre part, ils-elles perdent leurs supports d’enseignement habituels. Il en résulterait une forme de conservatisme qui freine l’adoption du jeu vidéo dans la classe.
  • Un exemple d’utilisation de jeu vidéo historique est décrit par un participants qui souligne que ces jeux contiennent peu de références historiques correctes, mais que l’utilisation de ces jeux peut s’avérer intéressante à plusieurs niveaux. Les élèves vont développer des compétences annexes, comme la collaboration. Par ailleurs, le jeu peut servir de porte d’entrée à l’enseignement de l’histoire en le faisant suivre d’un travail de déconstruction qui permet de rétablir les faits en s’appuyant sur des connaissances précises et solides. Dans ce cadre, le jeu vidéo est considéré comme un média, un objet culturel qui est à la fois utilisé et enseigné.

En conclusion, le jeu vidéo vient s’ajouter à la palette des outils et supports dont les enseignant∙e∙s disposent. Seul, il ne permet pas d’apprendre. Il doit être intégré et contextualisé dans un dispositif pédagogique plus large. Par ailleurs, le jeu vidéo comme support d’apprentissage reste encore largement déconsidéré en dehors du primaire, mais l’apparition d’une culture du jeu qui touche maintenant les parents et les enseignante∙s peut faire évoluer cette situation.

Le point de vue largement évoqué de la méfiance des acteurs de l’éducation ou du moins d’une partie d’entre eux, vis-à-vis du jeu vidéo m’ont immédiatement fait penser à Ken Robinson et à ses interventions sur l’éducation et la créativité.

 

… Ce que ces choses ont en commun est que les enfants vont oser. Même s’ils ne savent pas, ils essaieront quelque chose. Vous ne pensez-pas? Ils n’ont pas peur de se tromper. Maintenant, je ne dis pas que se tromper, c’est pareil qu’être créatif. Ce que je dis ici, c’est que si vous n’êtes pas prêts à vous tromper, vous ne sortirez jamais rien d’original. Si vous n’êtes pas prêts à vous tromper. Et avec le temps en devenant adultes, la plupart de ces enfants perdent cette capacité. Ils sont devenus peureux d’avoir tort.