Recette de l’ens-AI-gnement revisitée

Comment exploiter la puissance et les limites des IA génératives pour engager activement les étudiant-es dans leurs apprentissages

 

Quand l’enseignement perd de sa saveur

Dans la représentation collective, l’enseignant-e universitaire est souvent imaginé-e comme le/la chef étoilé-e, servant à des étudiant-es affamé-es un plat unique de savoir. Mais, aujourd’hui, force est de constater que le soufflé est retombé. On observe en réalité, dans les auditoires, des étudiant-es luttant contre le gavage de savoirs et déjà en sieste post-prandiale. Alors, comment rendre l’apprentissage plus digeste ?

L’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) à l’université bouleverse d’autant plus la recette classique de l’enseignement. Face à des étudiant-es toujours plus connecté-es, qui ont à portée de main un outil capable de fournir très rapidement des réponses à leurs questions et de prémâcher pour eux/elles une partie de leur travail, le rôle de l’enseignant-e se transforme. Mais plutôt que de laisser l’IA creuser le fossé entre enseignant-es et étudiant-es, pourquoi ne pas considérer cette technologie comme l’ingrédient qui permettra de rétablir les échanges ?

 

Rectifier l’assaisonnement

Depuis plusieurs années, l’approche par compétences fait de plus en plus sens pour de nombreuses formations à l’Université de Genève : l’enseignement vise à développer les compétences qui répondent aux besoins des étudiant-es préparant leur avenir professionnel. L’arrivée de l’IA a bouleversé les habitudes de nombreux/euses professionnel-les de tous domaines ; les besoins de formation des étudiant-es ont, en conséquence, évolué également. Rectifier l’assaisonnement ne suffit pas, il faut revoir les ingrédients de base pour réaligner les objectifs d’apprentissage avec ces nouveaux besoins.

Le cours « Analyse d’articles scientifiques » programmé dans le Bachelor de sciences biomédicales de la Faculté de médecine de Genève, a donc dû revoir ses objectifs. Dans le cadre de ce cours, les étudiant-es sont amené-es à éplucher la littérature scientifique. Se familiariser avec la littérature et la démarche scientifique et développer un esprit critique lors de la lecture d’articles sont les objectifs initiaux de ce cours. Pour atteindre ces objectifs, le cours est donné sous la forme d’un « Journal club » ; les étudiant-es doivent lire l’article en amont du cours et commentent l’article durant une séance guidée par un-e enseignant-e.

Comme dans tout recette traditionnelle de Journal Club, les étudiant-es se présentent souvent en n’ayant lu et digéré que la moitié de l’article, ou avec une compréhension partielle. L’enseignant-e pose alors des questions complexes aux étudiant-es pour stimuler leur réflexion ; questions restent souvent sans réponse de la part des étudiant-es, car trop complexes et non adaptées à leur niveau. Alors l’enseignant-e répond lui/elle-même à ses propres questions. Et bien que le cours se veuille interactif, on retrouve le modèle éducatif classique de transmission du savoir dans lequel l’enseignant-e sert sur un plateau la matière aux étudiant-es.

Mais l’enseignant-e n’est pas toujours expert-e du domaine couvert par l’article. Alors comment, lui/elle, est-il/elle parvenu-e à décortiquer et comprendre l’article ? Très souvent, en utilisant les outils à disposition : livres, autres articles scientifique, internet, et aussi la fameuse encyclopédie en ligne Wikipédia, qui rappelons-le, était tant décriée à l’époque de son apparition. Finalement, ce qui compte, ce n’est pas de « savoir », mais de comprendre comment aller chercher l’information. La compétence que les étudiant-es doivent acquérir est l’utilisation pertinente des outils à disposition pour appréhender et analyser de manière critique un document scientifique. Les outils d’IA s’ajoutent donc aux ustensiles de cuisine permettant de détailler l’information scientifique et d’émulsionner l’esprit critique.

Pour réaliser le cours « Analyse d’articles scientifiques » voici  la recette :

Liste des ingrédients :

  • des étudiant-es
  • une salle permettant aux étudiant-es de se répartir en groupes
  • une connexion internet
  • du temps

Préparation  :

  1. Diviser le groupe d’étudiant-es en sous-groupe de 3 personnes.
  2. Poser une question différente à chaque sous-groupe. La question doit avoir pour but d’approfondir la compréhension de la démarche scientifique menée par les auteur-es.

Exemple : Décrivez le procédé d’isolation des cellules primaires à partir d’une biopsie musculaire, de sélection des cellules satellites et de différenciation en myoblastes (2D). Décrivez le procédé de culture d’une myosphère (3D). Quels sont les avantages et les inconvénients de chaque procédé pour l’étude de la régénération musculaire.

  1. Indiquer à chaque membre du sous-groupe quel outil utiliser pour construire une réponse : un-e membre utilise ChatGPT (ou autre IA générative de texte), un-e membre s’informe sur Internet (ex. Wikipédia), un-e membre lit une publication scientifique complémentaire.
  2. Circuler entre les sous-groupes pour aider les étudiant-es à améliorer leurs compétences informationnelles (ex. qualité du prompt utilisé pour ChatGPT, qualité des mots clefs utilisés pour la recherche d’Google ou sur Pubmed).
  3. Inviter les sous-groupes à mettre en commun les résultats de leurs recherches et à construire une réponse complète, valide et argumentée.
  4. Inviter les sous-groupes à lire leur question en plénière, présenter leur réponse et indiquer les moyens utilisés pour la construction de leur réponse.
  5. Laisser mijoter et discuter avec la classe de la pertinence des informations trouvées via les différentes sources, des avantages et des limites des outils utilisés.

Cette recette encourage les étudiant-es à acquérir les bons réflexes, à s’autonomiser dans la recherche d’informations pour décortiquer et digérer un article scientifique. Et aussi  d’identifier les limites de chaque outil et de discuter de leur origine, notamment des biais de contenus découlant de la nature des données implémentées lors de la phase d’entrainement de l’IA. L’exercice développe l’esprit critique des étudiant-es non seulement sur l’approche méthodologique des auteur-es de l’article étudié, mais aussi sur les productions de l’IA ou la qualité des sources consultées. L’étudiant-e doit repérer lorsque l’outil utilisé raconte des salades.

Image générée par Copilot de Microsoft. Prompt utilisé pour générer la figure : « Un dessin de trois jeunes cuisiniers et cuisinières portant des toques, dans une cuisine, autour d’une grande table de travail. Sur la table, il y a des ingrédients et des ustensiles de cuisine. Au centre de la table, il y a un article de journal scientifique. Un des cuisiniers est en train de découper l’article de papier en s’aidant d’ustensiles représentant l’IA. Un cuisinier tient un ordinateur dans la main. Un troisième cuisinier tient une liasse d’articles de journaux. » Plusieurs outils d’IA générative d’images ont été essayés. Aucun n’a répondu à l’entièreté du prompt. L’image sélectionnée est celle qui se rapproche le plus du prompt cité ci-dessus.

 

Nouvelle recette plus gourmande

Il arrive que l’inconnu puisse nous rebuter. Cependant, lorsque nous apprenons à reconnaître la puissance d’un outil et à l’exploiter dans le respect de ses limites, la découverte devient un véritable régal. Il suffit donc de peler les couches de l’IA pour découvrir les trésors qu’elle renferme.

L’IA s’est invitée à notre table, et bientôt, il sera aussi difficile de nous en passer que de se passer de sel. Savoir assaisonner judicieusement notre pratique pédagogique avec l’IA ajoutera de la saveur non seulement au processus d’apprentissage pour les étudiant-es, mais aussi au plaisir que nous retirons de l’enseignement. Ne reste donc plus qu’à déguster !

 

Billet rédigé avec l’aide de l’IA par Monica DIDIER, enseignante en Bachelor de sciences biomédicales de la Faculté de médecine de Genève. Lien vers la discussion complète avec ChatGPT : https://chatgpt.com/share/67120aa8-924c-8009-a50f-88068e1566a8