Plateformes d’enseignement et d’apprentissage : quels effets sur l’engagement professionnel des enseignants ?

Les technologies au service de l’enseignement et de l’apprentissage

De plus en plus d’enseignants utilisent les plateformes d’enseignement et d’apprentissage, telles que Dokeos ou Moodle, mises à disposition par leur université, pour y déposer des documents ou proposer des activités dans le cadre de leurs cours. On appelle « dispositifs de formation hybride » ces cours soutenus par l’utilisation d’une plateforme technologique. Grâce à ces environnements de travail, il est possible de scénariser les phases d’apprentissage à distance en proposant, par exemple, l’organisation et le suivi de travaux individuels ou de groupe (exposés, études de cas, projets, etc.).

Plusieurs de ces activités (les lectures, la révision des examens par exemple) ont pourtant toujours fait partie du parcours d’apprentissage emprunté par les étudiants mais n’étaient que rarement intégrées au déroulement du cours et étaient plutôt laissées à la libre organisation des étudiants.

Par la mise à disposition d’espaces de ressources, d’outils d’interaction (forums, chats) et de production (wikis, blogs), etc., disponibles et utilisables à distance, ces plateformes ont le potentiel de devenir de véritables environnements numériques de travail pour les étudiants et une opportunité d’enrichissement du scénario pédagogique pour les enseignants.

Le bouleversement des pratiques

Un dispositif de formation hybride intègre donc, à divers degrés, des dimensions innovantes pour l’enseignement et l’apprentissage. L’usage d’une plateforme de travail à distance, par le potentiel pédagogique qu’elle rend possible, contribue à soutenir cette innovation. Toute innovation impliquant une forme de rupture dans les pratiques antérieures, quelles sont donc les raisons qui poussent un enseignant à s’engager dans ces nouvelles modalités d’enseignement et surtout quels sont les éléments qui peuvent contribuer à l’encourager à enrichir progressivement son dispositif et à poursuivre dans la voie de l’innovation ?

C’est à ces questions et à bien d’autres qu’a été consacré un récent mémoire présenté à Tecfa pour l’obtention du Master Maltt (Master of Science in Learning and Teaching Technologies).

Le parcours de cinq enseignants à la loupe

Intitulé « Effets des dispositifs de formation hybrides sur l’engagement professionnel des enseignants : 5 études de cas à l’Université de Genève », ce mémoire examine le parcours de cinq enseignants à la lumière de deux théories de psychologie sociale : la théorie de l’engagement de Kiesler (1971) et la théorie de la dissonance cognitive de Festinger (1957). Ces deux théories étudient les conduites humaines d’un point de vue social et comportemental et s’intéressent plus particulièrement aux liens de cohérence ou d’incohérence liant les attitudes et les actes des personnes. A cet égard, l’engagement est défini par l’auteur de la présente étude comme étant « une dynamique qui régit les conditions d’intention de l’acte, son accomplissement et ses conséquences sur le plan cognitif et comportemental de l’individu » (Peltier, 2011, p. 10).
Mené conjointement avec le projet Hy-Sup, projet européen portant sur les effets des dispositifs hybrides sur l’apprentissage, les pratiques d’enseignement et les institutions, ce mémoire de master traite de l’engagement professionnel des enseignants, qui est l’une des variables analysées dans le cadre de ce projet international.

Des dispositifs de formation diversifiés

Ce travail de fin d’études s’appuie également sur la typologie des dispositifs de formation hybrides (Burton, et al., 2010) établie lors de la première phase du projet Hy-Sup. Cette typologie recense six types de dispositifs de formation différents, décrits sur la base de quatorze dimensions considérées comme étant représentatives des choix technopédagogiques opérés par les enseignants (par exemple la sélection des outils de communication, de production et d’aide à l’apprentissage, le recours à des ressources ou des personnes extérieures au monde académique, les ressources et travaux sous forme multimédia, etc.). La numérotation des types de 1 à 6 rend compte de la gradation progressive de la richesse et de la complexité de ces dispositifs. Chaque type constitue ainsi le portrait-robot d’une forme de dispositif dans ses grandes tendances.

Les types 1 à 3 présentent des configurations plutôt centrées sur le processus d’enseignement avec un accent particulier mis sur l’organisation et le déroulement des séances présentielles et l’utilisation d’outils d’organisation tels que des calendrier ou des espaces de dépôts de ressources documentaires. L’intégration du travail à distance des étudiants dans le scénario du cours constitue l’élément qui différencie particulièrement les types 1 à 3 des types 4 à 6 . En effet, dans les dispositifs de type 1 à 3, le travail réalisé à distance comme par exemple la préparation d’exposés ou la lecture de documents, n’est que rarement scénarisé. Celui-ci est laissé à la libre appréciation et organisation des étudiants. A l’inverse, dans les dispositifs de type 4 à 6, les activités à distance sont véritablement organisées et régulées par l’enseignant. Il peut s’agir par exemple de commenter les travaux des pairs dans un forum, de rédiger des définitions dans un glossaire collectif, de concevoir un projet par étapes dans un wiki, etc.

Un lien fort entre engagement et innovation

Les résultats de cette recherche, basée sur un traitement qualitatif de données d’entretiens, recueillies auprès d’enseignants de diverses facultés, mettent en lumière plusieurs éléments intéressants. Tout d’abord, la pertinence des types théoriques décrits dans la typologie Hy-Sup par rapport à des situations réelles de terrain (les dispositifs de type 4, 5 et 6 s’avèrent en effet bien plus riches et plus diversifiés que les dispositifs de type 1 à 3 en termes d’activités proposées et d’outils mis à disposition). Ensuite, le lien unissant le type de dispositif expérimenté et la forme d’engagement de l’enseignant à l’origine de sa mise en œuvre. A cet égard, on observe notamment une relation forte entre la forme d’engagement de l’enseignant impliqué dans un tel processus d’innovation et la richesse du dispositif conçu. Différentes formes d’engagement ont ainsi été identifiées. Des formes d’engagement positives : la mobilisation et l’implication et des formes d’engagement négatives ou neutres : l’observation, l’indifférence, le retrait ou la résistance (Robin, 2011). L’engagement sous sa forme négative ou neutre peut être motivé notamment par des prescriptions externes (incitation des collègues ou de l’institution) et se trouver modifié par l’expérimentation de l’innovation.

L’ étude a ainsi montré que la forme d’engagement initiale d’un enseignant peut être renforcée ou modifiée selon l’impact de l’expérience vécue sur différentes variables, par exemple l’adéquation ou l’inadéquation de l’expérience à ses croyances et valeurs, ses buts et projets, son sentiment d’efficacité personnelle, ses expériences antérieures, etc.

Ainsi, pour deux des enseignants interrogés, l’adéquation de cette expérience avec tout ou partie de leurs représentations personnelles a eu pour effet de renforcer leur forme d’engagement de départ.

Des questions persistantes

La nature exploratoire de l’étude, ainsi que l’échantillon limité des cas examinés rend difficile l’identification des conditions menant à une modification de l’engagement.

Toutefois, par l’adoption d’un angle de vue particulier, par la mise à l’épreuve d’un modèle théorique original, ainsi que par l’identification des différents éléments qui fondent l’engagement (contexte, représentations, expériences antérieures, etc.) ce mémoire illustre des parcours individuels jalonnés de succès, de doutes, de craintes et d’envies et ouvre des perspectives de recherche intéressantes sur la question des effets des dispositifs de formation hybride sur la trajectoire professionnelle des enseignants.

Claire Peltier, Assistante d’enseignement et de recherche et doctorante, Tecfa