Canaliser le bavardage au profit du cours

Ce billet présente deux articles parus dans la revue «Educause Quarterly», l’une des revues de l’association américaine «EDUCAUSE» dont le but est de promouvoir un usage pertinent des technologies de l’information dans l’enseignement supérieur. Ces deux articles décrivent comment l’introduction d’un dispositif permettant aux étudiants de poster des messages et de voter pendant le cours a amélioré leur participation. Techniquement, ces deux dispositifs séduisent par le fait qu’ils sont accessibles par n’importe quel appareil mobile déjà en possession des étudiants.

Hotseat: opening the backchannel in large lectures

Ce premier article débute par trois constats:

  1. Les étudiants sont de plus en plus équipés d’outils de communication mobiles comme des ordinateurs portables (enquêtes 2009 swissmedel (q6) et ECAR : CH=87%, GE=83%, USA=88%) ou des téléphones portables évolués qui permettent de naviguer sur internet (ibid. : CH=15%, GE=19%, USA=50%)
  2. Dans les grands auditoires, on peut distinguer deux canaux de communication :
    • frontchannel : c’est le canal officiel, celui des interactions du professeur avec son auditoire. En général, ce canal est unidirectionnel: c’est le professeur qui parle et son discours est parfois interrompu par des questions
    • backchannel: c’est celui du bavardage dans l’audience, voire de l’audience avec l’extérieur via des SMS ou chat. L’enseignant est exclu de ce canal
  3. L’enseignement de type ex-cathedra dans les grands auditoires a un certain nombre de désavantages connus:
    • Grandeur physique de la salle: l’enseignant est forcément loin des étudiants et ceci empêche une interaction entre le prof et les élèves. Cet éloignement physique est aussi ressenti comme un éloignement psychologique, le professeur devient inaccessible. De même, l’agencement des rangées de sièges (fixes et serrés) empêche le travail éventuel en petits groupes.
    • Sentiment d’isolement: la grandeur de la salle et le grand nombre d’étudiants génèrent un sentiment d’isolement, que ce soit au niveau du professeur ou au niveau des élèves. Chez les élèves, ce sentiment induit des comportements défavorables à l’apprentissage: l’ennui, le désintérêt, la passivité, le bavardage, la peur de paraître bête en posant une question.
    • Enseignement peu efficace: des études montrent que l’attention diminue fortement après 15 minutes. Si l’élève ne travaille pas activement dans les 24 heures qui suivent le cours, il aura oublié les ¾ des informations importantes.

Forts de ces constats, une équipe de l’Université de Perdue (USA) a développé Hotseat, une plate-forme de communication utilisable pendant les cours avec l’équipement mobile que l’étudiant possède déjà. L’image ci-dessous (cliquez dessus pour l’agrandir) montre Hotseat tel qu’il apparaît sur un navigateur web standard ou sur un smartphone à droite. Les fonctions de l’outil sont les suivantes:

Vues de Hotseat telles que l'étudiant peut le voir depuis un navigateur web sur son ordinateur ou depuis son smatphone

  1. Les étudiants s’identifient via le mécanisme d’identification institutionnel.
  2. La question de l’enseignant est disponible dans « Select topics ». L’étudiant y répond en tapant un maximum de 140 caractères (comme les tweets de Twitter) ce qui le force à être concis.
  3. Les expéditeurs des messages sont identifiables par l’enseignant, mais l’étudiant peut choisir que son nom n’apparaisse pas dans la vue publique (« display as anonymous ») projetée dans l’auditoire ou affichée sur les ordinateurs ou smartphones de ses pairs.
  4. L’étudiant peut voter pour un message d’un autre étudiant ou sélectionner les messages ayant reçu le plus de vote (onglet « Hot thoughts »)
  5. L’étudiant peut répondre à un message ou sélectionner les messages ayant reçu le plus de réponses (ongle « Deep thoughts »)

Ce système peut être également utilisé comme une machine à voter (audience response system, clickers) par l’enseignant. Dans ce cas l’enseignant poste une question ainsi qu’une série de réponses possibles. Il demande ensuite à l’audience de voter pour chacune de ses propositions. La discussion n’est pas limitée à la séance de cours mais peut se prolonger au-delà.

Evaluation de Hotseat

Les auteurs de l’article présentent une évaluation de l’outil basée sur 4 cas d’utilisation dans des cours allant de 70 à 450 étudiants et sur une enquête menée auprès des utilisateurs. D’une manière générale, l’accueil est assez enthousiaste que ce soit de la part des étudiants ou des enseignants. L’enquête montre que ce système a la capacité d’améliorer la participation, de diminuer le sentiment d’isolement et que les étudiants qui participent le plus sont ceux qui réussissent le mieux à leurs examens (phénomène déjà constaté avec les forums de discussion de la Faculté de médecine de l’Université de Genève). Du côté des enseignants, ceux qui ont utilisé une fois Hotseat l’utilisent à nouveau pour les cours suivants. Les enseignants septiques craignent qu’Hotseat ne favorise la distraction des étudiants et que ceux-ci puissent perturber l’enseignement par l’envoi de message inadéquats.

Twitter, Wordle and ChimeIn as student response pedagogies

Ce deuxième article décrit un essai d’utiliser Twitter et Wordle pour améliorer la participation des étudiants à un cours d’histoire médiévale à l’Université du Minnesota. Pendant que des films illustrant le thème du cours étaient projetés aux étudiants, ceux-ci devaient poster des messages sur Twitter en réponse à des questions posées par l’enseignant. Dans le but de représenter visuellement les réponses, les mots de ces dernières ont été agrégées sous la forme d’un nuage de mots par Wordle, la taille des mots reflétant la fréquence de leur utilisation. L’enseignant se basait sur ces réponses pour engager la discussion et évaluer le degré de compréhension des étudiants. Malgré un sentiment mitigé des étudiants, les différentes mesures prises pour évaluer l’expérience ont montré un effet positif sur la participation des étudiants. Toutefois, la propriété de Twitter d’être ouvert au monde entier le rendait peut attractif pour de nombreux enseignants. C’est pourquoi un dispositif similaire mais permettant une identification des utilisateurs a été développé et baptisé ChimeIn.

ChimeIn permet aux enseignants de poser, pendant le cours, 3 types de questions: vrai/faux, questions à choix multiples mais avec une seule réponse possible et questions ouvertes. Ces questions sont projetées à l’écran et, comme avec Hotseat, les étudiants y répondent avec l’outil de communication dont ils disposent déjà:

  • leur ordinateur portable depuis une page web
  • leur Smartphone via une page web adaptée pour les mobiles
  • leur téléphone cellulaire par SMS (via GoogleVoice)

La distribution des réponses des deux premiers types de questions est affichée sous la forme d’histogramme alors que les réponses textes apparaissent d’une manière chronologique au fur et à mesure qu’elles sont postées et, comme avec Wordle, sous la forme d’un nuage de mots. De façon intéressante, les mots du nuage sont cliquables, ce qui permet de sélectionner uniquement les messages qui les contiennent comme le montre la figure ci-dessous (cliquez sur l’image pour l’agrandir et/ou voir une démo).

un clic sur un mot du nuage permet de sélectionner tous les messages le contenant

Pour des raisons financières, ce nouveau système n’a pas pu être évalué comme l’a été le dispositif  Twitter/Wordle. C’est dommage car ce système rencontre un franc succès à l’Université de Minnesota. Toutefois, il y a deux raisons de se réjouir: de nouvelles fonctions sont prévues pour ChimeIn et leurs auteurs veulent le distribuer comme logiciel libre d’ici une année.

Conclusion

Ces deux articles décrivent deux applications web qui servent à la fois de machine à voter et de canal de communication. Deux éléments particulièrement intéressants sont à relever:

Ordinateurs et téléphones portables

Ces applications sont accessibles par WiFi par des appareils mobiles déjà en possession des étudiants. L’étudiant ou l’institution fait donc l’économie du prix de boîtiers de vote d’une solution commerciale et la logistique est minimale. Ces deux exemples sont une illustration de l’usage croissant des technologies mobiles dans tous les domaines, y compris celui de l’enseignement.

Textes courts et visualisation

L’idée de composer avec un canal de communication de type bavardage pendant les cours est courageux et productif. Il permet de palier quelque peu aux défauts de l’enseignement ex-cathedra dans les grands auditoires:

  • Rapprochement enseignant – étudiants
  • Diminution du sentiment d’isolement (les étudiants lisent ce que les autres pensent)
  • Incitation à une participation active des étudiants

L’utilisation de ces outils pendant les cours réduit naturellement le temps à disposition pour traiter la matière. Toutefois, des techniques pédagogiques adaptées (Jane E. Caldwell, 2007) compensent largement cette « perte » de temps. De plus, l’utilisation d’outils de visualisation, comme les nuages de mots, ouvre des perspectives pédagogiques nouvelles.

Références